Seconde partie. Vous trouverez la première partie ici.
2. La République refuse au « peuple français » la libre disposition de lui-même
Nous avons vu que le « peuple français » était selon le Conseil Constitutionnel un « concept juridique » composé de tous les citoyens « sans distinction d’origine, de race ou de religion » (Décision n°91-290 DC). Le peuple autochtone de France qui se distingue par son origine, sa lignée et sa religion est donc une réalité qui ne correspond pas forcément au « concept juridique » composé de citoyens sans distinctions. En effet, l’immigration de peuplement et les naturalisations viennent sensiblement remettre en cause cette adéquation qui était vraie en 1789, mais n’est plus vraie en 2015. Dit autrement, le peuple autochtone de France ne recoupe plus le « corps électoral » ou le « corps politique », ou si l’on préfère la « communauté civique » composée de citoyens certes sans distinctions mais néanmoins de plus en plus d’origine allochtone.
Le peuple autochtone peut-il, au nom de ses caractères distinctifs, s’affirmer spécifiquement au sein de la communauté civique ? Le retoquage de la loi portant sur le statut de la Corse (1991) apporte une réponse assez brutale qui met fin à toutes les illusions. Ainsi, parler d’un « peuple corse » en mettant en avant sa « communauté historique et culturelle », son « identité culturelle », ses « intérêts économiques et sociaux » n’est pas conforme à la Constitution républicaine car contraire au principe de « l’unicité » du « peuple français », de « l’indivisibilité » de la République et de l’unité de la souveraineté. Le « peuple français » est une « catégorie unitaire », point.
Fort bien : ignorons les réalités et admettons le « peuple français » comme « catégorie unitaire », « concept juridique » ou « communauté civique ». Celui-ci, ainsi déprécié, pourra-t-il alors, sans se diviser, en gardant son unicité, son unité, son indivisibilité et sa souveraineté, disposer de lui-même et s’émanciper par exemple de la République ? (après tout, le « peuple » est « souverain », c’est même une des caractéristiques principales de la démocratie, n’est-ce pas ?). La réponse est encore non !
Selon le Conseil Constitutionnel en effet, les peuples d’outre-mer peuvent disposer d’eux-mêmes mais pas le « peuple français » indivisible et souverain. Pour justifier son refus des droits au peuple corse, le Conseil affirme ainsi, toujours dans cette décision 91-290 du 09 mai 1991, que : « la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’Outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ». Vous avez bien lu : les peuples d’outre-mer ont le droit à la libre détermination, mais pas le « peuple français » ! C’est un aveu énorme, une atteinte gravissime au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dit autrement, le « peuple français » est à jamais, qu’il le veuille ou non, lié au régime politique républicain imaginé en 1789. Démocratie ?
Cette distinction aussi fondamentale qu’arbitraire entre les peuples n’était pas paroles en l’air. Les peuples auxquels fut accordée cette liberté qu’on nous refuse, ne tardèrent pas à en faire bon usage. Quelques années plus tard, les accords de Nouméa, la loi organique n°99-209 relative à la Nouvelle-Calédonie (mars 1999), la Décision n°2000-428 organisant la consultation des électeurs de Mayotte sur leur avenir, ou même la loi organique n° 2004-192 relative à la Polynésie (février 2004)… confirmèrent ce droit à la libre détermination dont sont privés les autochtones de France mais aussi la « catégorie unitaire » dans son ensemble (dit le « peuple français »).
La constitution républicaine considère (art. 2) que la « France est une République indivisible ». Cela veut dire réciproquement que la République est la France, que l’une et l’autre sont la même réalité, qu’on ne peut donc les dissocier. Comment, dans ces conditions, la France pourrait-elle s’émanciper de la République sans se perdre elle-même ? Le système est clos et la pauvre France y est enfermée !
Démocratie ?
(A suivre)
Antonin Campana