Première partie d'un texte qui en comptera trois.
Une liberté d’expression à géométrie variable, des « valeurs » intouchables, un système politique peuplé de défenseurs acharnés du régime, un monde médiatique bannissant ses dissidents, une historiographie légale, une Justice et une Police aux ordres, une Ecole au garde-à-vous, la perspective de nouvelles lois liberticides… tout cela laisse perplexe et incite à s’interroger sur le caractère prétendument démocratique de la République « française ».
Cependant, ces dysfonctionnements antidémocratiques ne sont-ils pas plutôt des symptômes d’une dérive accidentelle et temporaire du régime politique républicain ? Voici, à la lecture des textes normatifs du régime, trois bonnes raisons d’en douter.
1. La République ne dit pas ce qu’est un peuple.
La République étant en son principe (art.2 de la Constitution) le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (ce qui est le fondement d’une démocratie), il serait étonnant que ses textes constitutionnels ne définissent pas ce qu’est un « peuple ». Imagine-t-on un instant les règlements de la SNCF ne pas expliquer ce qu’est un « train » ?
Pourtant, on ne trouvera dans aucun texte constitutionnel une définition claire est précise du mot « peuple ». Ces textes ne définissent pas davantage ce qu’est le « peuple français ».
Les textes indiquent quelques attributs abstraits du « peuple français » (l’unicité, l’indivisibilité…), nous informent que celui-ci est « composé de citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », mais ne s’aventure guère plus loin.
La décision n°91-290 DC du 09 mai 1991 (par laquelle le Conseil Constitutionnel rejette l’existence du « peuple corse ») définit le peuple français comme un « concept juridique qui a valeur constitutionnelle » (une « valeur constitutionnelle » est en droit constitutionnel un principe non écrit, dégagé par l’usage et justifié par la jurisprudence). Autrement dit, le « peuple français », non défini, n’a pas, en tant que « valeur constitutionnelle », besoin de l’être.
Pour résumer :
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Le « peuple français » est une « représentation intellectuelle conçue par l’esprit » (c’est la définition du mot « concept » par le Larousse).
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Le législateur donne à cette représentation intellectuelle un caractère juridique
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Le « peuple français », représentation intellectuelle devenue catégorie juridique, existe comme principe, sans qu’il soit nul besoin de le définir, puisque prouvé par la « jurisprudence » (d’où l’énumération par la décision 91-290 DC des textes constitutionnels qui font mention du « peuple français » depuis 1789).
En fait tout l’édifice constitutionnel de la République repose sur une réalité, « le peuple français », qui n’est pas défini et qui est posé à priori comme une catégorie juridique sans consistance historique, identitaire, culturelle ou religieuse… Pour les textes constitutionnels, le « peuple français », au sens anthropologique, n’existe tout simplement pas.
On pourrait penser que cette insuffisance et cette impuissance à définir clairement ce qu’est un « peuple » ou ce qu’est le « peuple français » découle d’une certaine négligence, d’une ignorance ou même d’une incapacité à penser l’histoire, l’identité ou l’appartenance… Il n’en n’est rien.
Nous en voulons pour preuve les Accords de Nouméa et la loi organique n° 99-209 relative à la Nouvelle Calédonie par exemple, qui montrent que la République, lorsqu’elle est contrainte, sait parfaitement définir, circonscrire et reconnaître un « peuple ». Ainsi, nous expliquent ces textes, le « peuple kanak » est une réalité concrète qui se manifeste par des « signes identitaires », sa « civilisation propre », ses « traditions », ses « langues », sa « coutume », son « rapport spécifique avec une vallée, une colline, la mer… », sa « culture », son « imaginaire », ses « traditions », son « organisation sociale »... Bref, pour la République le « peuple kanak » ne saurait se réduire à un « concept juridique », c’est pourquoi, sans doute, se sent-elle obligée de reconnaître les « éléments fondamentaux de l’identité kanak »…
On peut donc s’interroger sur le caractère démocratique d’un régime politique qui affirme le « gouvernement du peuple »… mais s’abstient de dire ce qu’est un « peuple ».
On peut donc s’interroger sur le caractère démocratique d’un régime politique qui dénie au peuple français son identité fondatrice, mais reconnait celle des peuples qui le contraignent.
On peut donc s’interroger sur le caractère démocratique d’un régime politique qui réduit le « peuple » à un artifice juridique abstrait mais ignore ce qui en constitue la réalité concrète : son identité, sa religion, sa culture, sa lignée…
La « République démocratique » : un oxymore ?
(à suivre)
Antonin Campana