3. Le peuple français ne peut changer de régime politique
Cela paraît énorme, mais c’est ainsi, et c’est écrit dans la Constitution : le peuple français, peuple souverain selon les principes énoncés par la République, n’a pas le droit de remettre en cause le régime en place. Ce verrouillage juridique qui sanctuarise le régime républicain ne serait désavoué par aucune tyrannie ni aucun régime totalitaire.
La Constitution de la République décrète en effet en son article 89 que : « La forme républicaine de gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision » !
Significativement, cet article a été introduit en 1884. Pour comprendre ce qui motive alors cette révision constitutionnelle il faut faire un rapide retour en arrière : au sortir de la guerre de 1870, les élections (février 1871) envoient à la Chambre deux tiers de monarchistes. En 1873, l’Assemblée porte à la Présidence de la République Mac-Mahon, un monarchiste chargé de préparer le rétablissement du trône. Les oppositions entre les différents courants royalistes permettent néanmoins le retour au pouvoir des républicains en 1879. L’Assemblée monarchiste avait en effet omis de verrouiller le système constitutionnel à son avantage. Ce ne sera pas le cas de l’Assemblée républicaine. Les républicains, animés par une ardeur démocratique dont étaient dépourvus leurs opposants monarchistes, vont modifier la Constitution et voter des lois qui empêcheront définitivement le peuple souverain de sortir du système républicain :
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Les collèges électoraux sont modifiés de manière à privilégier les villes, plutôt favorables à la République
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Les membres des familles ayant régné sur la France sont déclarés inéligibles
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La forme républicaine de gouvernement ne pourra être soumise à révision, autrement dit : la République devient intangible (disposition, écrit Jean-Marie Mayeur, « qui excluait une restauration [monarchique] légale et rendait inconstitutionnelle la propagande royaliste »[1])
Cette limitation de la souveraineté du peuple, désormais dans l’incapacité de changer ou même de seulement « proposer » de changer de régime politique, fait de la République un tabou, du républicanisme une religion, et du « peuple » un groupe humain sous tutelle. Le « peuple » pourra « choisir » entre les apparatchiks de la République qu’on lui propose généreusement, mais pas entre les différentes formes de gouvernement qu’il pourrait imaginer (république version 1789, différents types de monarchie, république identitaire, république multicommunautaire…).
On comprend mieux pourquoi certains partis comme le Front National, accusés de n’être pas républicains, fassent leur possible pour se faire ôter cette étiquette « infâmante ». Il en va de leur légalité. La dissolution dont on les menace est permise par La Constitution : « qui veut tuer son chien l’accuse de la rage ».
On comprend mieux cette mentalité délatrice et « citoyenne », typiquement française, qui consiste à débusquer et dénoncer celui qui est soupçonné de n’être pas républicain, celui qui est suspecté de ne pas respecter les « valeurs de la République », qui consiste aussi à se décerner des brevets de républicanisme, manière de montrer son obséquieuse soumission au régime. Peu de différence en tout cela avec le régime soviétique : le « pouvoir du peuple » est soigneusement cantonné à l’inessentiel. Les fondamentaux du régime doivent lui être intouchables.
Démocratie ?
En résumé, nous observons, en nous bornant aux seuls textes constitutionnels républicains :
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Que la république ne dit pas ce qu’est un « peuple » et ne définit pas le « peuple français » (si ce n’est comme une représentation intellectuelle dotée d’un caractère juridique)
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Que la République refuse au peuple français la libre disposition de lui-même
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Que la République interdit au peuple français de sortir de la République
Nous sommes donc très loin d’une démocratie véritable, très proche en fait d’un système totalitaire sophistiqué. Le peuple autochtone de France, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, au nom de l’égalité entre les peuples, est donc fondé à obtenir de la République :
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Qu’elle définisse ce qu’est un « peuple »
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Qu’elle définisse ce qu’est le « peuple français », en soulignant notamment la dimension identitaire de sa composante autochtone, comme elle l’a fait pour le peuple kanak.
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Qu’elle accorde la libre détermination au « peuple français » et notamment à sa composante autochtone, comme elle l’a fait en Nouvelle-Calédonie.
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Qu’elle abroge l’article 89 de la Constitution de 1958, et s’en excuse.
En conclusion, la République venue de 1789 n’est pas une démocratie et n’a sans doute pas vocation à le devenir. Sa revendication démocratique la rend incohérente et pleine de contradictions. Aux autochtones d’en jouer pour faire progresser leurs droits. Le peuple kanak a su le faire, nous pouvons le faire.
Antonin Campana