Dans un précédent article, nous avons noté que l’élection d’Emmanuel Macron pouvait être révélatrice d’un processus de notabilisation de la vie politique française. Emmanuel Macron a bénéficié d’une « notabilité » totalement artificielle, fabriquée par les médias, grâce à laquelle il a été littéralement propulsé de l’anonymat complet jusqu’à la présidence de la République… sans passer par la case « parti politique ». Autrement dit, Emmanuel Macron a été élu parce que le Système en a fait, de toute pièce, un personnage « notable », et non en raison du soutien d’un mouvement organisé dont il aurait gravi tous les échelons.
A partir de ce constat et dans un climat idéologique qui remet ouvertement en cause les « partis traditionnels », nous nous demandions si nous n’étions pas sur le point d’assister à la mort des partis politiques. Nous avons fait valoir que le parti politique était un « corps intermédiaire » unissant des personnes, éventuellement face au pouvoir central, et qu’à ce titre la République ne pouvait accepter son existence (décret d’Allarde, loi Le Chapelier, 1791). De fait, c’est en contradiction avec ses principes fondamentaux que la République concèdera une loi sur les associations (1901) qui permettra la création de partis politiques. L’élévation rituelle d’Emmanuel Macron est donc un retour en arrière qui supprime tout intermédiaire entre l’homme consacré et le troupeau global, conformément au principe énoncé par Le Chapelier : « il n'y a plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation » (Bulletin de l’Assemblée Nationale, 14 juin 1791).
La composition du Gouvernement Edouard Philippe confirme pleinement cette remise en cause du parti politique en tant que corps intermédiaire. La moitié des ministres et secrétaires d’Etat nommés le 17 mai est issu de la « société civile » (escrimeur, éditeur, patron, biochimiste, médecin…) et n’est pas passée par un parti. Côté candidats aux législatives, la proportion est identique (50 %). Tous sont des « candidats Internet », en fait des candidats à un job, sélectionnés comme il se doit après avoir envoyé un CV, une « lettre de motivation » (sic !), une photocopie de leur pièce d’identité et une photo d’identité !
Le Système, échaudé par l’élection d’un Trump grâce aux structures du parti républicain, semble considérer qu’il est l’heure d’abattre les derniers vestiges d’un temps où le politicien était le représentant élu d’un groupe organisé. Le produit Macron incarne parfaitement cette volonté-Système d’aller vers une individualisation totale et il est vraisemblable que la politique du nouveau président de la république « française » en sera l’expression.
En matière fiscale par exemple, nous nous acheminerons probablement vers la fin du « foyer fiscal » (le foyer, c’est-à-dire le feu autour duquel la famille se rassemble). On sait en effet que la notion de foyer fiscal, notion centrale du droit définie par l’article 6 du Code général des impôts, institue un corps intermédiaire entre le contribuable et l’Etat qui le taxe : la famille. Dès le début des années 2010 de bonnes âmes font valoir que le « foyer fiscal » est source d’inégalité, qu’il heurte le droit, qu’il est complexe et… qu’il « empêche la mise en place de l’impôt à la source » (car l’employeur devrait avoir accès à des informations qui violeraient la vie privé de ses employés) ! Le prélèvement à la source, qui a les faveurs d’Emmanuel Macron, suppose donc préalablement, selon ses promoteurs eux-mêmes, la destruction du foyer fiscal. Son entrée en vigueur se traduira certes par une individualisation de l’impôt, mais surtout par une nouvelle remise en cause de la Famille en tant qu’unité indivisible. Il est vrai que la Famille est un de ces corps intermédiaires que la République n’a jamais acceptés.
L’individualisation du prélèvement suppose une individualisation du versement mais surtout une dématérialisation du paiement. Tout va se passer par voie électronique, le Tiers payeur (l’employeur ou le banquier) ponctionnant informatiquement et de manière « indolore » (sic) les revenus du contribuable. La « philosophie » du prélèvement à la source (l’argent est dématérialisé et prélevé directement dans le porte-monnaie du contribuable, sans acte volontaire de celui-ci) est d’autant plus intéressant pour le pouvoir oligarchique qu’il voudrait qu’un autre problème dépende de l’impôt : celui de la Dette. On sait que c’est en faisant payer une taxe à tous les épargnants que le FMI et certains économistes proposent de réduire la dette globale (une taxe qui ponctionnerait entre 10 et 30% des dépôts privés de tous les épargnants !). Une telle mesure serait néanmoins difficile à appliquer sans provoquer une ruée des épargnants sur les guichets et un inévitable cataclysme financier. Néanmoins, le « bank run » pourrait être facilement évité si l’on supprimait l’argent liquide au profit d’une monnaie électronique. Dès lors, rien ni personne ne pourrait empêcher ce suprême prélèvement à la source, cette fois dans les comptes en banque. Nous pouvons donc pronostiquer sans risque que la dématérialisation de la monnaie sera probablement un chantier important du prochain quinquennat. La propagande en faveur de la monnaie électronique a déjà commencé depuis quelques mois (propagande inspirée par l’UE, voyez ici une consultation bidon de la Commission, dont la seule utilité est de nous préparer à ce qui est déjà décrit comme inéluctable… afin de lutter contre le terrorisme bien sûr).
A l’obsolescence programmée des partis politiques, à la destruction du foyer fiscal, à la dématérialisation monétaire s’ajoutera très probablement un « détricotage » en règle du code du travail.
Le code du travail est pour l’essentiel le produit d’une lutte d’un corps intermédiaire qui s’appelle le « syndicat ». Le syndicat, lui-même, est le produit d’un rapport de force entre la société autochtone traditionnelle et le pouvoir républicain. La loi de 1884 marque un recul de la République contrainte de nier ses principes fondamentaux hérités de Rousseau et exprimés notamment par la loi Le Chapelier. L’essentiel du combat ouvrier autochtone a consisté à substituer un « contrat collectif » de travail en lieu et place du « contrat individuel », seul admissible selon les théories rousseauistes et républicaines. Or c’est précisément ce contrat collectif, qui fixe pour tous l’amplitude de travail, la « détermination collective » des conditions de travail, le prix du travail… qui est attaqué dans les réformes prévues du droit du travail (primauté des accords d’entreprise, réduction du nombre de branches d’entreprise, simplification du droit de licenciement, etc). La réforme du code du travail va installer un véritable « droit d’entreprise » qui isolera les salariés de leur branche et les mettra en concurrence. La prochaine étape sera le contrat individuel de travail qui les opposera à l’intérieur même de l’entreprise : il n'y aura plus que « l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général » (Le Chapelier), c’est-à-dire l’intérêt du salarié isolé face à celui de la multinationale, sans le garde fou des droits collectifs. A terme, c’est le syndicat, comme corps intermédiaire, qui sera obsolète : le processus régressif d’individualisation du droit du travail sape le groupe comme unité indivisible.
En résumé, Emmanuel Macron est un « produit marketing » qui illustre un processus qui s’est enclenché dans toute la sphère sociale : celui de l’individualisation. Le Système ne veut plus ni parti politique, ni Famille, ni droit collectif, ni syndicats. Face à lui, il ne veut que des individus isolés et fragiles, qu’il récompensera ou punira à son gré. La Révolution a interdit les « corps intermédiaires », la résistance et les luttes du peuple autochtone ont forcé la République à les reconnaître. Désormais nous allons assister à leur éradication systématique. Détruire les communautés intermédiaires qui font obstacle au pouvoir sans partage de l’oligarchie sera sans doute le fil directeur de la présidence Macron.
Antonin Campana