A y regarder de près, il est possible que ces élections « pas comme les autres » annoncent un bouleversement en profondeur de « notre » « démocratie ». Il n’est pas exclu en effet que nous assistions à la fin des partis et subséquemment au retour des notables qui ont marqué la vie politique du XIXe siècle.
Historiquement, un notable est une personne dont l’ascendant social et l’autorité politique reposent en grande partie sur la réputation acquise (la « notabilité »), et non sur le soutien d’une force structurée. Cette réputation peut être « justifiée », généralement par les réussites sociales ou économiques, ou usurpée si elle ne repose sur rien d’autre, par exemple, que des médias chargés de la fabriquer. On sait ainsi que la réputation d’un Emmanuel Macron, que personne ne connaissait il y a seulement deux ou trois ans, est purement artificielle. Or, c’est précisément sur cette réputation (usurpée) et non sur une force structurée (un parti politique dont il aurait gravi les échelons) que se fonde l’ascension politique de celui-ci. A l’évidence, Macron s’inscrit donc davantage dans le système notabiliaire qu’a connu le XIXe siècle que dans le système partitocratique du XXe. Est-il un prototype d’une sorte de notable postmoderne, pur individu sans parti, sans idées, sans idéologie bien sûr, sans convictions fortes non plus, propulsé par le Système en raison de sa servilité ? Annonce-t-il une tendance lourde de la vie politique qui signerait la fin programmée des partis ? Cela ne serait pas impossible car le parti politique est à l’évidence un corps étranger à la République. Dès lors, l’expulser serait pour celle-ci un moyen de réaffirmer sa nature profonde.
Un parti politique est une « structure d’organisation de la démocratie ». Il permet à des individus de s’associer pour être plus fort dans la défense de leurs intérêts communs (intérêts nationaux, de classe, environnementaux, etc.) ou pour atteindre un objectif désigné. Un parti rassemble ainsi des militants, des adhérents et un électorat. Il est hiérarchisé, solidaire et possède une forte résilience.
Pour le régime républicain découlant de 1789, l’association de personnes en « partis » fractionnant le « tout » ne peut être qu’une anomalie à corriger. Pour isoler les gens face au pouvoir central et favoriser l’individualisme, la République a ainsi très vite interdit les « communautés » (décret d’Allarde et loi Le Chapelier s’inspirant des théories rousseauistes, 1791. Les « communautés » désignaient, sous l’Ancien Régime, des associations de personnes dont le but n’était pas commercial - les autres associations étaient appelées « sociétés »). A partir de 1791, toute association de personnes susceptible de défendre des intérêts collectifs sera durement réprimée par le régime républicain. La République va ainsi interdire les communautés paysannes ou les corporations mais aussi chercher à atteindre tout ce qui fait lien : l’Eglise, la Paroisse, la Famille… Comme nous l’avons déjà dit, cela s’inscrit dans une entreprise planifiée d’ingénierie sociale (voyez ici et ici). Autrement dit, le parti politique, par définition « association de personnes », ne saurait avoir une existence légale en République.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, seuls les hommes influents dans leur circonscription (les plus riches en fait) auront une chance d’être élus. Ces notables deviendront députés, rejoindront éventuellement un groupe parlementaire avant de devenir ministres puis, pour quelques uns, présidents de la République (Jean Casimir-Perier, Félix Faure, Emile Loubet…). Cependant, la population française va résister à l’ingénierie sociale républicaine et, malgré la répression, un grand nombre d’associations illégales vont se développer. En 1884, le peuple français obligera la République à concéder la création de Syndicats. Il faudra cependant attendre 1901 pour que la République reviennent sur ses principes fondateurs et accepte l’existence d’associations de personnes (loi du 01 juillet 1901).
Les lois de 1884 et de 1901 sont donc des victoires importantes du peuple français sur le régime qui entend le déstructurer. Dès lors, les partis politiques (fondés selon le statut des associations lois 1901) vont pouvoir se développer. Le premier d’entre eux (le « Parti républicain, radical et radical-socialiste ») naît officiellement quelques jours avant la promulgation de la loi. Il existe aujourd’hui plusieurs dizaines de partis politiques de toutes les sortes : partis nationaux, régionaux, locaux, autonomistes, indépendantistes, etc. Dès 1901, la France entre en partitocratie, c’en est fini des notables ancienne formule se faisant élire sur leur réputation : pour être élu, il faudra avoir le soutien d’un parti.
Les dynasties bourgeoises à la tête de la République ne vont pas pour autant se laisser confisquer le pouvoir et vont bien sûr contrôler l’ensemble des partis de gouvernement. Cependant, un intermédiaire important s’est de fait glissé entre l’Oligarchie et le pouvoir politique. Un intermédiaire dangereux, puisqu’il coagule des individus dispersés, et peu fiable, puisqu’il est traversé de « courants » et de tendances aux évolutions imprévisibles. Presque toujours, le Système continue à placer ses représentants à la tête de la nation, mais il lui faut désormais composer avec des partis qui dépendent eux-mêmes de leurs « bases ». De ce fait, il n’est pas exclu qu’un candidat hors Système parvienne à se servir de la puissance d’un parti-Système pour se hisser au pouvoir : voyez Donald Trump aux Etats-Unis. Shunter les partis et installer directement ses propres valets représente donc un moyen beaucoup plus sûr et plus efficace de contrôle du Pouvoir. Le leitmotiv sur « l’ouverture à la société civile », qu’on entend depuis plusieurs années, est sans doute une manière élégante de signifier que les partis politiques sont désormais obsolètes. Les « affaires » touchant tous les partis et soulignés avec ostentation par les médias-Système ne sont-elles pas, quant à elles, destinées à persuader la population que les « vieux partis » sont par essence corrompus, donc nuisibles ?
Et qu’avons-nous vu avec ces dernières élections ? D’une part la liquidation de la Gauche et une explosion du Parti socialiste ; d’autre part la liquidation de la Droite et une explosion de l’UMP ; enfin le rassemblement politico-médiatique (de Robert Hue à Alain Madelin et de Libération à BFM TV !) autour d’Emmanuel Macron, tous ensemble dressés face au seul parti subsistant : le Front National. On le sait, Macron est un pur « produit marketing » qui répond à une stratégie-Système. Il n’a pas de programme, pas d’enracinement politique, pas de parti, pas de convictions : il a été créé à partir de rien pour administrer une province bruxelloise au nom de l’Oligarchie. Est-il le prototype d’une nouvelle génération de politiciens parachutés par le Système directement de la société civile à la haute fonction politique, sans passer par les partis ? Assistons-nous à un processus de démolition contrôlée des mouvements politiques traditionnels ?
Il s’agirait alors d’un retour aux fondamentaux du régime et de la fermeture d’une parenthèse ouverte en 1901. Derrière cette éradication-déconsidération progressive des partis politiques, il faudrait voir une abolition de « corps intermédiaires » concédés à contrecœur au peuple français (les partis politiques) et une réaffirmation de l’individu isolé face au pouvoir d’Etat. La remise en cause des associations de personnes poursuivant un but politique va parfaitement dans le sens de cette nouvelle offensive sociétale qui entend détruire les corps intermédiaires que sont les sexes (idéologie du genre), la famille (« mariage pour tous ») ou la nation (immigrationisme et supranationalité européenne).
Le Front National resterait alors le dernier parti, c’est-à-dire le dernier corps intermédiaire sur lequel se concentrerait « naturellement » toute l’hostilité de la République-Système… Mais en contrepartie, il serait aussi la dernière « communauté » en mesure de relier des individus isolés et fragiles face au pouvoir d’Etat oppressif.
Antonin Campana