TROISIEME PARTIE du texte sur l'autochtonisme.
Vous trouverez la première partie ici.
Vous trouverez la seconde partie ici.
3) Typologie de l’autochtonisme : l’autochtonisme « colonial », « migratoire » et « rémigratoire »
La prise de conscience autochtone et les revendications qui en découlent vont différer en fonction de la situation dans laquelle évolue l’Autochtone. L’autochtonisme aura alors des traits caractéristiques différents. Ces traits affectent d’ailleurs davantage la forme que le fond des différentes démarches autochtonistes : il s’agit toujours, quel que soit le contexte, de défendre des droits collectifs sur une terre ancestrale. Nous pouvons dégager, sans prétention à l’exhaustivité, trois grands types d’autochtonisme : l’autochtonisme lié à une situation coloniale, l’autochtonisme lié aux migrations, l’autochtonisme lié à une volonté de rémigration.
1. L’autochtonisme « colonial »
Le colon s’installe rarement sur une terre étrangère pour profiter des acquis de la société indigène. Il se tiendra généralement éloigné de cette société et ne cherchera jamais à l’intégrer. Ce sont d’abord les ressources naturelles potentielles des territoires autochtones, à commencer par les terres cultivables non exploitées, qui intéressent le colon (accessoirement la force de travail des indigènes, mais ce n’est pas la motivation première).
Les colons se mélangeront donc rarement aux Autochtones et constitueront une société parallèle à la société indigène. La société séparée des colons, souvent sous l’impulsion d’une métropole lointaine, se dotera bientôt d’institutions qui deviendront la base d’une entité politique dominante, puis d’un Etat (ou d’une délégation d’Etat).
Le cadre colonial est donc marqué principalement par la confiscation des terres indigènes. Dès son apparition, nous constatons que l’autochtonisme se structure alors principalement, et fort logiquement, autour de revendications territoriales avec la volonté de récupérer les terres ancestrales (sans pour autant, bien sûr, que la lutte identitaire soit ignorée). Ainsi, la lutte des Indiens du Canada pour conserver leurs Réserves, alors que celles-ci sont précisément le symbole de leur relégation territoriale, sociale et culturelle, s’inscrit tout à fait dans cette logique. La « crise d’Oka » (1990), véritable confrontation armée qui opposa la communauté Mohawk à l’Etat canadien et québécois, fut déclenchée par l’autorisation donnée à un projet immobilier qui empiétait sur des terres mohawk (dont un ancien cimetière indien !).
La prise de conscience autochtone s’alimente ici des luttes territoriales. Celles-ci peuvent évoluer en luttes « pour l’Indépendance » si les rapports de force sont favorables (récupération intégrale des terres et expulsion des colons). Ainsi de l’Espagne de la Reconquista, des guerres coloniales, des luttes du peuple kanak, etc.
2. L’autochtonisme « migratoire »
Au contraire du colon qui s’installe sur une terre pour la faire fructifier, l’immigré s’installe au milieu d’un peuple pour profiter des avantages économiques, sociaux, juridiques… que celui-ci peut lui procurer. L’immigré, au contraire du colon, évitera les terres vierges et les espaces vides (les grandes plaines américaines de la conquête de l’Ouest par exemple). Il recherchera les pays peuplés afin que les Autochtones du lieu lui fournissent du travail, des soins, des libertés, une éducation pour ses enfants… toutes choses que son propre peuple peine à lui offrir.
Comme dans le cas colonial, il y a bien une arrivée de populations exogènes mais l’installation se passe « au milieu » des Autochtones et non pas « à côté ». Notons cependant que l’immigration n’exclut pas à terme la prise de contrôle territorial. Ce processus semble avoir commencé aujourd’hui en Europe, dans certains quartiers tout au moins, ou dans certaines zones dont les Autochtones sont de fait rejetés : nous dirons dans ce cas que la migration se transforme en colonisation (« colonisation » qui induira mécaniquement l’idée autochtoniste de reconquête territoriale).
Contrairement à l’autochtonisme dans un contexte colonial, l’autochtonisme dans le contexte migratoire ne privilégiera pas la revendication territoriale, mais plutôt la revendication identitaire. Ce qui va compter prioritairement n’est pas de reconquérir des territoires pour y affirmer sa prééminence identitaire (culturelle, religieuse, politique…), mais d’affirmer sa prééminence identitaire pour ne pas perdre le contrôle sur le territoire. Ainsi, les Autochtones du sud-ouest rural du Burkina-Faso confrontés à l’installation de nombreux migrants affirment d’autant plus les pratiques et les règles coutumières ancestrales, les us et coutumes des villages, l’éthique locale, la gestion coutumière des pouvoirs, le lien de la terre avec les ancêtres qu’ils craignent de se faire refouler par un Etat intégrateur qui provoquerait une nouvelle répartition des terres à leur désavantage. En Côte d’Ivoire, la défense de l’identité autochtone passe par une structuration de l’habitat qui marque la présence identitaire autochtone. En France, les Autochtones refusent au nom de leur identité les mosquées ou les prières dans les rues, plébiscitent les crèches et les sapins de Noël dans les Mairies : l’identité est un drapeau, quand il ne flotte plus c’est que la place a été perdue.
3. L’autochtonisme « rémigratoire »
Ici, ce n’est pas l’installation de populations exogènes qui force la prise de conscience autochtone mais au contraire le sentiment de ne pas appartenir à la population au milieu de laquelle on vit, de ne pas être un « Autochtone » du lieu, mais celui d’un autre lieu. Cette conviction va (peut) provoquer le besoin de retourner au milieu de son peuple, là ou celui-ci est autochtone. Dès lors, le retour effectué, l’individu devient lui aussi un « Autochtone », ce qu’il n’était pas auparavant.
L’autochtonisme rémigratoire va ainsi mettre l’accent sur le sentiment d’altérité et sur l’idée d’un peuple en exil qui a le droit légitime de retourner sur sa terre. Les revendications principales de ce type d’autochtonisme seront à la fois territoriales et identitaires, sans faire l’impasse sur un droit spécifique : le « droit au retour ».
Il est bien évident que le sionisme est la principale forme d’autochtonisme rémigratoire. Pour le sionisme, les Juifs forment un « peuple » (revendication identitaire). La Palestine est la terre ancestrale de ce peuple (revendication territoriale). Ce peuple en exil a maintenant le droit de revenir sur sa terre ancestrale (droit au retour). Les Palestiniens formulent le même type d’autochtonisme rémigratoire fondée sur la Nakba, leur expulsion, le sentiment de leur altérité dans les pays où ils sont dispersés, et leur droit au retour sur les terres ancestrales.
Il n’est un secret pour personne que les populations exogènes installées en Europe expriment elles-aussi ce sentiment de ne pas appartenir au peuple autochtone européen. Il est possible que ce sentiment d’altérité débouche un jour sur une forme d’autochtonisme rémigratoire et enclenche à terme une revendication de « droit au retour » sur les terres ancestrales. Nul doute que l’autochtonisme des Autochtones et l’autochtonisme des non Autochtones se rejoignent alors dans un combat commun contre l’Etat intégrateur.
(A suivre)
Antonin Campana