[Ce texte est la première partie d'un article sur l'autochtonisme. Nous proposons une approche de ce mouvement de pensée et il va de soi que ce qui suit poura être utilement complété, nuancé voire corrigé. Vos propostions et remarques seront les bienvenues)
1) Une tentative de définition
Tous les peuples sont autochtones quelque part (le cas particulier des peuples itinérants reste très marginal). Autrement dit, il y a autant de peuples autochtones que de peuples se revendiquant comme tel, ce qui implique que l’autochtonisme, comme mouvement de pensée, a de multiples expressions et qu’il serait vain de le réduire à une définition unique.
Cependant les peuples autochtones présentent aussi des caractéristiques communes qui donnent à l’autochtonisme une certaine unité de vue par-delà ses expressions particulières :
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Tous les peuples autochtones sont originaires par voie ancestrale des territoires qu’ils occupent.
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Tous les peuples autochtones cohabitent avec des populations exogènes
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Tous les peuples autochtone sont confrontés à un pouvoir politique qui limite, remet en cause ou dénit leurs droits spécifiques.
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Tous les peuples autochtones doivent répondre à une idéologie dominante qui les « ensauvage ».
L’autochtonisme comme concept semble apparaître au Canada à la fin des années 60. Il faut le replacer dans le contexte agité des réformes de Pierre Eliott Trudeau qui entendait notamment supprimer les terres de réserve indiennes et faire des Autochtones des citoyens canadiens comme les autres (avec les mêmes droits et les mêmes devoirs). Le « Livre blanc » de Trudeau prévoyait ainsi la perte du statut spécial et des droits particuliers des peuples autochtones afin de les réintégrer pleinement, à la française, dans la « nation canadienne ». Les Autochtones de leur côté n’entendaient pas se laisser déposséder des lambeaux de territoires spécifiquement autochtones, où ils jouissaient d’une prééminence (les Réserves), ni se laisser assimiler par une citoyenneté juridique égalitaire. Cela leur a fait prendre conscience d’une triple nécessité : d’une part défendre les droits acquis, d’autre part revendiquer de nouveaux droits nationaux, enfin justifier ces droits spécifiques par l’identité particulière.
On assiste alors à un mouvement d’appropriation des différences identitaires. Celles-ci sont érigées en distinctions permettant de se poser spécifiquement, puis, dans un second temps, de s’opposer à l’Etat intégrateur. L’autochtonisme va prôner le maintien des traditions autochtones, le sentiment d’appartenance à la société autochtone et la reconnaissance de droits spécifiques justifiés selon lui par la différence culturelle et l’antériorité d’occupation du territoire.
En résumé, si nous devions risquer une définition, nous dirions que l’autochtonisme est un mouvement de pensée qui considère que les peuples se définissent par leur identité, leur lignée ancestrale, leur droit à la prééminence là où ils sont autochtones. L’autochtonisme n’est pas refermé sur lui-même. Historiquement, il est au contraire le produit d’une rencontre entre une société au peuplement exogène massif, un Etat aux volontés souvent intégratrices et une population autochtone plus ou moins « refoulée » (territorialement, démographiquement et identitairement). L’autochtonisme s’interroge sur les conditions qui ont permis à l’Etat multiethnique d’acquérir la souveraineté sur les autochtones. Même si la libération et l’indépendance restent légitimement l’objectif lointain à atteindre, l’autochtonisme n’occulte pas la nécessité d’une « cohabitation » mutuellement respectueuse, dans une société diversifiée de fait.
L’autochtonisme n’écarte ainsi ni le dialogue, ni le compromis. Il lutte pour l’obtention de droits collectifs de plus en plus larges, le droit ultime étant le droit du peuple autochtone à disposer de lui-même.
(A suivre)
Antonin Campana