Nous avons fait remarquer ailleurs que l’antisémitisme et l’antijaphétisme étaient des systèmes d’avilissement similaires qui poursuivaient le même objectif : imputer les échecs du modèle républicain à un peuple bouc émissaire. L’antijaphétisme est un bégaiement de l’antisémitisme.
L’histoire du peuple juif et celle du grand-peuple européen semblent ainsi converger vers un même destin tragique. Mais on observera aussi que cette convergence se fait selon un rythme semblable. Si ces deux histoires sont appréhendées du point de vue des relations à l’altérité, on découvrira en effet des séquences très similaires laissant penser que l’une et l’autre obéissent aux mêmes lois, à la même trame et aux mêmes enchaînements… même si les échelles sont bien sûr différentes ! Il semblerait ainsi que, confrontés à une altérité plus ou moins hostile ou dissolvante, les peuples, quels qu’ils soient, agissent de la même façon, comme si leurs « choix » découlaient davantage des nécessités anthropologiques que de leurs particularités ethnoculturelles
Le premier « moment historique » vécu par le peuple juif est celui du « ghetto ». Ce qui caractérise en effet l’histoire d’Israël avant la « dispersion » est la volonté de se séparer des goïms pour vivre dans une espèce de ghetto national. De Moïse aux Macchabées en passant par le royaume fantasmé par Josias on retrouve cette volonté obsessionnelle d’enfermement. En Europe, les Juifs reproduiront le caractère séparatiste structurant le judaïsme et s’enfermeront volontiers dans les ghettos. L’historien Jacob Katz a ainsi montré que les Juifs étaient tout à fait favorables à l’institution d’un quartier fermé qui leur permettrait de vivre librement leur identité.
Dans le même temps, les Européens vivaient eux-aussi dans une sorte de ghetto continental naturel qui leur permettait, comme les Juifs dans leurs quartiers, d’organiser le fonctionnement de leur société selon leurs valeurs identitaires spécifiques.
Le second moment de l’histoire juive est « l’émancipation ». Dans toute l’Europe, la Révolution a fait des Juifs des « citoyens à part entière ». En contrepartie, les Juifs devaient abandonner leurs solidarités particulières et s’ouvrir aux goïms, qu’ils devaient désormais considérer comme des « concitoyens à part entière ». Cette sortie du ghetto sera marquée par l’assimilation culturelle, les mariages mixtes et l’antisémitisme des républicains qui imputeront aux Juifs les premiers échecs de leur modèle de société ouverte.
Le même processus s’observe dans la société européenne. L’Etat s’émancipe des Eglises, bientôt des identités et les Européens sont sommés d’accepter des valeurs laïques, culturellement neutres et universelles : des « valeurs » par définition étrangères à leur identité spécifique. Les Européens doivent abandonner leurs solidarités particulières et considérer comme des concitoyens à part entière, non seulement les Juifs, mais aussi les étrangers à peine naturalisés. Cette sortie du « ghetto » sera elle aussi marquée par l’assimilation au nouvel environnement, des mariages mixtes et l’antijaphétisme des républicains qui imputeront aux Français de souche l’échec du « vivre ensemble ».
La sortie du ghetto sera dramatique pour les Juifs puisqu’ils connaîtront, on le sait, des persécutions. La conséquence sera la création de l’Etat juif, c’est-à-dire le retour au ghetto.
La sortie du ghetto, c’est-à-dire de la société identitaire se régissant selon ses propres valeurs, s’avère de plus en plus dramatique pour des Européens désormais forcés de vivre dans des sociétés multiethniques, au milieu de gens de plus en plus nombreux à leur être hostiles. Les premiers pogromes ont indéniablement commencé et c’est sous cet angle qu’il convient d’analyser le massacre du Bataclan, les évènements de Cologne ou les épurations du Kosovo. Parallèlement, les échecs électoraux des mouvements « populistes » font prendre conscience aux Autochtones les plus lucides que la situation est sans issue, à moins de sortir du « cadre » imposé par l’Etat républicain.
Autrement dit, les récents revers électoraux ont définitivement démontré l’inanité du combat politique « classique », mené selon les règles définies par le Système. Ceux qui mettaient tous leurs espoirs dans l’élection d’une Marine Le Pen en France sont en train de revenir brutalement sur terre. Nous sommes dans un goulot d’étranglement dont la seule issue est une sorte de « sionisme européen ». Ce n’est plus une question de choix, même plus une question de volonté. Cela se fera que nous le voulions ou pas car cela procède d’une nécessité anthropologique : faute d’échappatoire l’instinct de survie commandera le Grand Rassemblement. C’en est fini des illusions politiciennes, des utopies rémigrationnistes et du millénarisme incapacitant. L’action va s’imposer et ne prendra qu’une forme, la seule possible : la constitution d’un foyer national autochtone au sein même de la société qui entend nous dissoudre.
L’idée d’une sorte de « sionisme » européen va donc s’imposer inexorablement. Il est moins question ici de « droit au retour », puisque les Autochtones de souche européennes sont chez eux en Europe, que du droit du peuple autochtone à disposer de lui-même sur une terre qui lui appartient.
Avant peu, puisque l’Europe est occupée par des agrégats humains artificiels qui ne font pas peuple, les Autochtones européens se réclameront du slogan sioniste : « un peuple sans terre, pour une terre sans peuple ». La lutte pour le droit à l’existence, le droit à la reconnaissance, à la dignité, à la liberté… commencera demain, quelles que soient les hésitations que peuvent encore avoir les uns ou les autres aujourd’hui. Cela est inéluctable, car il n’y a pas d’autre solution.
Nous sommes à un moment crucial de notre histoire, nous vivons un moment extraordinaire. Confrontés aux mêmes problèmes existentiels, le peuple européen et le peuple juif aboutissent aux mêmes conclusions. Les deux histoires semblent encore une fois évoluer selon le même tempo : qui contestera la légitimité de l’une contestera donc la légitimité de l’autre.
Antonin Campana