Jusqu’à ces dernières années les crises évoluaient d’une manière relativement autonome et selon une logique interne qui leur était propre. Les crises ne s’associaient pas, ne s’alimentaient pas mutuellement, n’interagissaient pas les unes sur les autres, ne convergeaient pas. Certes on pourra trouver des contre-exemples mais globalement crises sociales, économiques, géopolitiques, diplomatiques ou sociétales restaient relativement circonscrites. Il faut considérer que ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Un «effet papillon » pourrait donc entraîner une réaction en chaîne aux conséquences catastrophiques.
Prenons un exemple d’actualité : la « crise » que vivent les policiers en France. Il va de soi que cette crise est-elle-même la conséquence de la « crise des banlieues », crise indissociable de la crise migratoire que nous subissons depuis 40 ans, encore récemment amplifiée par le « terrorisme » et la « crise des réfugiés ». La crise des réfugiés et le « terrorisme » sont liés à la crise syrienne, qui est liée à la politique américaine au Proche-Orient, elle-même déterminée par la crise pétrolière et la crise du leadership américain. La crise syrienne accentue la crise militaro-diplomatique avec la Russie, crise amorcée par la crise en Ukraine et les sanctions contre la Russie. Les sanctions contre la Russie ajoutent à la crise du monde agricole, indissociable de la crise économique et financière, crise économique et financière qui révèle une crise industrielle et provoquera une crise monétaire. Pour résoudre la crise industrielle il faudrait résoudre la crise de la consommation, mais ne serait-ce pas accentuer la crise écologique ? Mais si l’on ne met pas fin à la crise économique comment résoudre la crise budgétaire qui explique aussi la crise chez les fonctionnaires de police, trop peu nombreux et trop mal équipés ?
Aujourd’hui, n’importe quelle « crise », même locale, est mécaniquement associée à toutes les autres. C’est un peu comme si une mèche lente reliait la crise économique, la crise géopolitique, la crise monétaire, la crise sociale, la crise écologique, la crise migratoire, la crise de l’Union européenne, la crise démographique, la crise identitaire… et que chacune de ces crises possède en elle-même plusieurs détonateurs capables de faire sauter l’ensemble.
Revenons à nos policiers et extrapolons à partir de l’hypothèse développée par Obertone dans Guerilla. Imaginons qu’un policier craignant pour sa vie soit contraint de tuer cinq ou six « sauvageons » dans une cité de non-droit. Imaginons que les cités s’embrasent comme en 2005 mais que cette fois les kalachnikovs sortent des caves. Imaginons que les policiers puis l’armée répliquent. Les morts s’accumulent et les élections présidentielles se déroulent dans ce climat de guerre civile, avec Daesh qui s’invite en France. Juppé, un peu décalé avec son « identité heureuse », est battu de peu par Marine Le Pen. Les médias crient au trucage des résultats, on manifeste. L’administration américaine qui craint la réorientation de la politique étrangère française hurle au déni de démocratie. Elle fait intervenir ses ONG, ses services, son argent et alimente les cités et les "rebelles modérés" antifas en armes et soutien logistique. La crise économique et sociale est à son comble, l’Union européenne se délite, le pays sombre dans la guerre civile, les Etats-uniens se préparent à intervenir pour « sauver la démocratie ». Marine Le Pen se tourne alors vers la Russie…
Nous ne prétendons pas faire une prophétie. Nous développons simplement un scénario plausible. Ce que nous voulons dire est que l’interconnexion des crises est telle aujourd’hui que même un événement mineur pourrait avoir des conséquences incalculables. Ce qui autrefois aurait été une simple péripétie dans le maintien de l’ordre pourrait aujourd’hui avoir des répercussions mondiales.
Prenons un autre exemple : la crise raciale et identitaire américaine évolue, depuis les élections présidentielles, en crise politique. Chose qui n’était jamais arrivée, un candidat au positionnement hors système, favorable à un monde multipolaire, représentatif de l’Amérique blanche et pas sûr d’accepter le résultat des élections s’il était vaincu (et pour cause, souvenez-vous du trucage des élections en Floride qui ont permis l’élection de Bush en 2000), est opposé à la candidate du Système, représentant l’Amérique métissée et son droit à dominer le monde. Ces élections impactent désormais la crise syrienne (menaces Clinton/Pentagone d’établir une No-Fly-Zone au-dessus de la Syrie…), la crise avec la Russie (constamment stigmatisée dans les débats) , la crise du leadership américain (qui montre un triste spectacle de lui-même), la crise migratoire (enjeu essentiel de l’élection), la crise économique (idem) et en France la crise du modèle de « société ouverte » (avec le soutien des uns à Trump et des autres à Clinton). Dans tous les cas de figure, que l’un ou l’autre soit élu, les conséquences seront déterminantes pour l’équilibre du monde. Il faut comprendre que ce n’est plus une élection « normale » qui opposerait en toute courtoisie deux candidats du Système s’entendant sur le fond, mais une élection découlant d’une crise multiforme, ingérée et ingérable, devenue folle, d’où cette présence extraordinaire d’un candidat indépendant du Système.
Nous l’avons déjà dit, le Système semble avoir perdu la main . Il ne gère plus l’accumulation des crises qu’il a créées : il les subit désormais. Nous avons atteint une « masse critique » et nous pourrions assister d’ici peu à une réaction en chaîne non contrôlée qui désintègre le monde tel que nous le connaissons. Bien sûr nous ignorons le jour et l’heure de l’explosion, nous savons seulement que le milieu est fortement réactif. Nous ignorons également la nature du détonateur qui nous renverra à l’âge de pierre. Sans doute est-il déjà en place sans que nous l’ayons identifié. Ce que nous « savons » avec certitude, c’est que tout converge vers le chaos. Alors autant se préparer.
Antonin Campana