[Depuis septembre, le Système semble s’être mis en « mode panique », comme si l’emballement des crises révélait son effondrement prochain. Il apparaît désormais évident que le Système ne résoudra pas les crises, puisqu’il en est la cause. Cherchera-t-il une issue dans la guerre ? C’est une éventualité qu’il ne faut plus exclure]
Nous avons défini le Système comme la conjonction du républicanisme à vocation planétaire et de l’oligarchie à vocation mondiale, comme une union intime entre un idéal universaliste et des intérêts économiques mondialistes, l’un épaulant l’autre de sa légitimité idéologique ou de sa puissance financière. Le Système, c’est la destruction des peuples au nom de la « démocratie » pour installer le marché, c’est l’éradication des appartenances au nom du marché pour imposer la « démocratie »*[les mots avec un astérisque sont définis dans notre Glossaire]. Le Système, c’est le consommateur standard et son équivalent politique, le citoyen standard.
Nous ne définissons pas le Système comme une organisation pyramidale, même si certains groupes (Bilderberg par exemple) peuvent imprimer leur marque et donner des orientations. Bien plutôt, le Système fonctionne de manière autorégulée, chacun de ses éléments (Médias, Politique, Finance, Justice, Etat supranational*…) interagissant sur tous les autres à partir d’un logiciel commun leur permettant de fonctionner ensemble, en système. Le républicanisme (l’idéologie de la république* « française » depuis 1789) exprime l’essentiel de ce logiciel qui dit quoi penser, quoi faire et comment agir (pour réduire les peuples à des corps d’associés fonctionnant mécaniquement, pour faire la promotion de l’individu émancipé des appartenances, pour folkloriser les identités, pour installer une société planétaire peuplée de clones-citoyens-consommateurs-producteurs…).
Jusqu’à présent, rien ne semblait pouvoir s’opposer au rouleau compresseur du Système. Sa surpuissance idéologique, militaire, financière était telle que les peuples enracinés semblaient ne plus exister, si ce n’est dans le cœur de quelque dissidence, et que « l’occidentalisation » du monde paraissait effectivement devoir accoucher rapidement du « village planétaire » coiffé par une « gouvernance mondiale ». La communication du Système s’imposait dans tout l’espace médiatique et intellectuel et normaient tous les esprits. Pas moyen d’échapper à sa narrative, et surtout pas moyen de ne pas la réciter.
Et puis brutalement, cela a commencé peut-être durant l’été, le Système a semblé perdre pied. L’accélération des crises a mis en défaut sa narrative et il s’est trouvé dans l’incapacité de lui trouver un discours de substitution. Un vide est apparu, un véritable trou noir menaçant de tout engloutir, et des voix de plus en plus nombreuses se sont mises à envisager ouvertement la possibilité d’un effondrement global. La seule réponse, inquiétante, du Système, a consisté en un repli dans le déni de réalité et la communication en silence radio. Trois exemples significatifs :
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Dans un article paru dans la Chronique Agora, Françoise Garteiser démontre en quelques lignes pourquoi le système économique et financier va s’effondrer. Entre 1994 et 2014, 2.88 dollars de dette ont généré un dollar de croissance, explique-t-elle. Autrement dit, c’est la dette qui soutient la croissance (avec de grosses déperditions). Si l’on stoppe les dettes (donc la consommation et les investissements qui vont avec) la croissance s’effondre et l’économie s’asphyxie. Pour alimenter la croissance mondiale, il faut donc toujours s’endetter, ce qui augmente les sommes à rembourser, ce qui diminue la capacité à consommer, donc la croissance (demandez aux Grecs). En résumé moins il y a de dettes, moins il y a de croissance. Mais plus il y a de dettes …et moins il y a de croissance aussi. Le problème est donc sans solution selon les paramètres du Système ! Comment réagit celui-ci ? Par des décisions qui consternent les marchés et masquent mal qu’il n’a plus aucune maîtrise de la situation. Voyez Janet Yellen, directrice de la FED. Mi-septembre, elle ne relève pas ses taux. Traduction : « continuez à vous endetter, beaucoup, pour faire de la croissance, très peu… même si la dette creuse notre tombe». Quelques jours plus tard, changement de cap : les taux seront sans doute revus à la hausse avant la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Traduction : « je vais fermer le robinet de l’argent facile, peut-être arrêter de faire tourner la planche à billets, même si cela nous mène à la tombe». Un tel revirement participe de l’affolement le plus complet. Le « bug » de Yellen en pleine conférence de presse illustre parfaitement l’état de confusion dans lequel se trouve l’élite financière du Système, incapable de délivrer un discours cohérent et, dernier recours, se réfugiant derrière le déni de réalité (« l’économie va repartir »).
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Deuxième exemple : la situation au Proche-Orient. Jusqu’à ces derniers mois les volontés de l’Empire états-uniens, l’un des principaux vecteurs d’extension du Système, étaient parfaitement « lisibles ». Il s’agissait dans un premier temps de renverser les gouvernements des Etats arabes, notamment laïques, pour installer à leur place des islamistes (Frères Musulmans en l’occurrence) qui feraient exploser ces pays selon des lignes de fracture ethniques et religieuses (c’était l’objectif poursuivi en Irak, en Lybie, en Syrie ou avec les « printemps arabes » largement orchestrés par les Etats-Unis). Dans un second temps, l’Empire voulait engendrer un « Grand Moyen-Orient » composé de petits Etats vassaux constitués sur des bases tribales, ethniques ou religieuses. L’Etat Islamique (Daesh) a précisément été créé, financé et armé par l’Empire et ses relais saoudiens, turcs, qataris et israéliens afin de réaliser le plan américain. Depuis quelques semaines, la résistance héroïque du peuple syrien derrière son Président, puis l’intervention russe ont totalement fait perdre la main à l’Empire. Celui-ci n’a plus l’initiative au Proche-Orient. Il ne paraît plus avoir de réelle stratégie, alternant les revirements, tantôt avec les Russes ou l’Iran, tantôt contre, faisant preuve d’amateurisme et d’inconstance. Bien malin celui qui aujourd’hui pourrait dire avec certitude en quoi consiste la politique américaine au Proche-Orient. De fait, nos médias font profil bas depuis l’intervention russe, se risquant peu aux commentaires, attendant un décryptage qui ne vient pas. La confusion est d’autant plus perceptible que le Proche-Orient n’illustre pas seulement un repli stratégique du Système mais une remise en cause des« valeurs » occidentales et un basculement du monde. Avec la Russie, la « communauté internationale », hors Empire et dépendances, fait désormais entendre sa voix. Le Système refuse de prendre en compte cette nouvelle réalité et s’enferme stupidement dans le « monde d’avant », qui n’existe plus.
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Troisième exemple, plus hexagonal, mais qui illustre (bien qu’anecdotique), l’affolement du Système devant l’accumulation de crises qu’il ne peut contrôler : l’affaire Nadine Morano et de la France « pays de race blanche ». A l’évidence, Nadine Morano décrit une réalité objective, incontestable, prouvée par toute l’iconographie des siècles passés et qui ne devrait pas faire débat : la France est un pays de race blanche, ou de peuplement blanc si l’on préfère. Affirmer le contraire est un déni de réalité très significatif, de l’ordre du refoulement psychanalytique. Faire polémique de manière hystérique et demander sanction est très révélateur de l’état de santé « psychologique » du Système et du caractère obsolète de sa narrative. Il faut donc situer la déclaration « hors logiciel » de Nadine Morano dans un moment caractérisé à la fois par un échec (celui de la société « sans couleur ») et une prise de conscience de cet échec (celle des tenants du Système qui confusément comprennent, devant la montée du FN chez les Autochtones, la progression de l’Islam radical chez les Allochtones ou le départ des Juifs vers Israël,que la « nation Frankenstein » et la république métisse ne sont pas viables). Cette prise de conscience, elle-même plus ou moins refoulée, se protège par le déni de réalité mais aussi par cette violence qui traduit un désarroi et une perte de sang froid devant l’inéluctabilité de l’effondrement systémique qui va les emporter.
Nous donnons trois exemples de crise (crise économique et financière, crise géostratégique, crise identitaire) qui laissent le Système complètement désemparé devant leur ampleur et leur accélération. Nous aurions pu citer aussi la crise monétaire (celle du Dollar, de plus en plus contesté, ou de l’Euro), la crise de l’Union Européenne, la crise démocratique (l’inflation de lois liberticides, la Grèce…), la crise des valeurs « occidentales » (désormais partout regardées comme des vecteurs de l’impérialisme US), la crise de confiance et de crédibilité qui affecte l’Empire et ses vassaux ( dont la parole apparaît clairement peu fiable –voyez l’affaire des Mistral) ainsi que les médias de cour, la crise migratoire, la crise « terroriste », la crise écologique ou la crise énergétique… Toutes ces crises s’accumulent, se conjuguent, s’alimentent et interagissent sans que le Système trouve le début d’une réponse pour les résoudre. Jusqu’à présent, le Système prétendait être à la barre et pouvoir solutionner tous les problèmes : question de temps, de planche à billet, d’intégration, de « rebelles modérés », de plus d’Europe, d’égalité ou de réformes... nous disait-on. Aujourd’hui, le Système paraît médusé par l’emballement des crises. Il n’a plus rien à dire, plus rien à proposer et semble dépassé par l’enchaînement de plus en plus rapide des évènements. Le Système, à travers ce qui le constitue (ses « valeurs », son matérialisme, son culte de l’individu déshumanisé, sa volonté planétaire, son fric, ses réseaux…) ne peut trouver de solutions aux crises car il en est la matrice. La confusion qu’il montre depuis quelques semaines, sa narrative soudain moins sûre d’elle-même, les flottements que nous observons notamment dans les relais médiatiques, les dénis de réalité même… montrent peut-être que le Système est sur le point de changer de paradigme. Il serait dommage pour l’humanité que le Système utilise sa puissance militaire extraordinaire pour résoudre d’un coup toutes les crises. Les prochaines semaines et prochains mois vont être cruciaux de ce point de vue.
Antonin Campana