[Il y a les gens qui vivent dans « l’entre-soi » et ceux qui subissent le « vivre ensemble ». Les premiers ont voté pour l’UMPS, les seconds pour le FN. Ce qui distingue les gens de l’entre-soi de ceux du « vivre ensemble » est la souffrance quotidienne qui accable les uns sans atteindre les autres. Car c’est la souffrance, engendrée par les politiques d’immigration, qui explique le vote FN]
Au milieu des années 70, nous étions quelques uns à nous inquiéter des politiques d’immigration qui se mettaient subrepticement en place. Nous savions par l’Histoire qu’on ne mélange pas impunément des populations culturellement trop éloignées et que le chaos était l’avenir prévisible des sociétés multiraciales. Le marketing de l’immigrationnisme nous vendait alors les réussites d’un Liban multiconfessionnel et ouvert sur le monde. C’était un peu avant qu’apparaisse l’expression « c’est Beyrouth » qui enterra l’argument dans le cimetière des idées fausses.
A cette époque nous étions 1 à 2%, pas davantage, à « savoir ». Nous « savions » parce que nous acceptions un réel non falsifié par des préjugés idéologiques, nous attachant seulement aux faits. Nous parlions souvent comme des chimistes : tel mélange est possible, tel autre est explosif. Cela faisait rire ou provoquait l’hostilité. Nous n’étions alors que des prophètes de malheur dans un désert sans écho. Puis les premières vagues ont commencé à déferler. Au départ, peu étaient touchés, et ceux qui l’étaient pouvaient refluer sur quelque sommet inaccessible, pensaient-ils. Mais les vagues ont succédé aux vagues et pour quelques uns, les plus démunis, les moins riches, une fuite impossible a obligé au « vivre « ensemble ». C’est à ce moment que le Front National, premier lanceur d’alerte, a commencé à engranger des voix.
La progression du FN n’a pas cessé depuis : les dernières élections départementales le prouvent une nouvelle fois. La carte de l’immigration et celle du vote FN évoluent de conserve. Il est notable que les communes et les banlieues de « vivre ensemble » ont massivement voté pour le FN alors que les zones résidentielles protégées où règne l’entre-soi ont feint de se boucher le nez.
C’est ainsi : le doux entre-soi veut ignorer les difficultés du « vivre ensemble ». Cette insensibilité égoïste est pathétique car l’immigration génère une souffrance énorme dans notre pays : souffrance liée à l’insécurité, aux humiliations, à la violence, à la perte des repères identitaires, à l’incapacité de poser sa différence, au sentiment de devenir un étranger dans son propre pays… C’est cette souffrance réelle, insupportable, oppressante, qui génère le vote FN mais aussi les multiples « stratégies d’évitement » (déménagements dans le périurbain résidentiel, dérogations scolaires, désertion de certains centres commerciaux, abandon de certains sports…). La souffrance ethnique est la clé de l’évolution politique de ces vingt dernières années.
Plus que le chômage, la protestation, la crise de l’Euro ou l’Europe de Bruxelles, la souffrance du peuple autochtone est en effet la raison profonde du vote FN. Ceux qui ne souffrent pas, qui n’ont pas connu les angoisses du « vivre ensemble », qui bénéficient encore du luxe inouï de l’entre-soi, ceux de Corrèze, des petits bourgs autarciques suffisamment éloignés des concentrations étrangères, des quartiers chics, des villes protégées, ceux des emplois bien rémunérés, ceux qui ont les « moyens » de ne pas subir ne votent pas FN. Ni le bobo, ni le paysan du Lot ne votent FN : trop protégés ou trop éloignés, ils ne connaissent le « vivre ensemble » que par procuration, grâce à la télévision. L’électeur type du FN, quant à lui, est « en contact », immergé dans le « vivre ensemble », et il n’en peut plus.
Un tel constat est désespérant.
Faut-il souffrir pour « savoir » ? Tous ces gens qui maintenant votent FN étaient autrefois très éloignés de ce parti, voire en étaient très critiques. Il a fallu qu’ils se prennent le mur des réalités en pleine face, que l’immigration de masse bouleverse leur vie, pour qu’ils prennent conscience des changements qui affectaient leur pays en profondeur. Et tous ceux qui jouissent encore de la satisfaction morale d’un vote contre le FN ne se permettent ce luxe qu’en raison d’une petite vie tranquille pour le moment préservée des épreuves qu’endurent leurs compatriotes moins chanceux. Ajoutant un souverain mépris à la souffrance qui s’étend comme une peste noire, ils mettent le choix du FN sur le compte de l’ignorance, du manque de compassion, du repli frileux, de la peur de l’autre, voire de la xénophobie et du racisme. Les gens de l’entre-soi font la morale à ceux du « vivre ensemble », les jugeant et leur expliquant comment profiter de l’enrichissante diversité. Ils ne manifestent pour ceux du « vivre ensemble » aucune solidarité, ne croient pas une seconde à la réalité de leurs souffrances, ne tirent pas leçon de leurs expériences : ils les méprisent avec arrogance, se croient ontologiquement différents et ne se soucient pas une seconde de leurs problèmes. Ils ignorent qu’un homme est un homme et que confrontés aux mêmes difficultés ils choisiront les mêmes solutions. Car leur tour viendra de passer de l’entre-soi au « vivre ensemble ». L’arrivée chaque année de 200 ou 300 000 étrangers les fera, sauf pour les plus riches d’entre eux, mécaniquement basculer dans le « vivre ensemble »… et le vote FN. Mais comme ces immigrés sont aussi destinés à devenir des électeurs, il est probable qu’il sera trop tard.
Alors, comme disait avec élégance mon grand-père : « morts aux cons ! ».
Augustin Campana