L’histoire de l’Europe est une succession de « périodes » historiques : période d’expansion des Cités, telle Athènes, période impériale (romaine), période féodale, période nationale étatique. Tout montre qu’une nouvelle période s’ouvre aujourd’hui.
Les coupures entre les « périodes » dont nous parlons ne sont pas franches et s’étalent sur plusieurs décennies, voire sur plusieurs siècles. Longtemps après qu’une période semble définitivement installée, il n’est en effet pas rare d’observer des secousses qui rappellent la période précédente. Ainsi l’Empire romain fut contesté par les moribondes Athènes et Jérusalem. Ainsi, le désir de restaurer l’Empire anima la volonté anachronique de nombreux rois. Ainsi, voyez la Fronde, la révolte de nombreux Grands illustre la nostalgie d’une puissance féodale définitivement sortie de l’Histoire.
On observera, en France, que la période nationale étatique s’éteint progressivement à partir de la révolution « française ». L’aristocratie, élite de la période étatique était toute entière dévouée au Roi, c’est-à-dire à l’Etat. Elle composait le grand corps des administrateurs et des officiers, mais ne pouvait ni commercer, ni faire des affaires. Au contraire, la révolution bourgeoise installe à la tête de l’Etat des gens liés au commerce, à la banque, au monde des affaires et des contrats. Longtemps, ces gens qui relèvent de la nouvelle puissance économique, vont devoir partager le pouvoir avec des gens qui relèvent encore de l’ancienne puissance étatique. Autrement dit, le Pouvoir global sera à la fois occupé par des personnalités qui représentent une caste et des intérêts privés et par des personnalités soucieuses du bien commun et des intérêts de l’Etat. Ferry, qui dans l’entreprise coloniale met le sang français au service, avoue-t-il, de « notre industrie », sert des intérêts économiques privés. Clémenceau qui s’y oppose pense d’abord à la France. François Mitterrand qui soutient le traité de Maastricht sert le grand capital. Philippe Séguin qui s’oppose à l’aliénation de la souveraineté nationale se conduit en « homme d’Etat ». L’histoire des deux derniers siècles peut ainsi s’analyser du point de vue d’une opposition entre deux factions qui relèvent de périodes différentes : l’une qui est encore nationale étatique, l’autre qui est déjà oligarchique.
Or, cette opposition est aujourd’hui terminée : la faction qui était fidèle à l’Etat a été éliminée. L’Etat n’est plus représentatif de la nation, n’est plus au service du peuple. L’Etat a été réduit à n’être qu’un outil au service de l’oligarchie. Dissocié de la nation, l’Etat n’est donc plus à proprement parler un Etat, au sens où l’on entendait ce mot tout au long de la période précédente, mais une technostructure qui contrôle et opprime le peuple. C’est l’Etat comme technostructure qui organise l’immigration de masse, qui enseigne le mépris du peuple autochtone, qui sanctionne toute velléité de résistance et qui aujourd’hui oblige les injections. Les gardiens de la paix sont devenus des hommes de main, les juges se sont mis au service de l’arbitraire et les politiciens organisent le refoulement et la dissolution du peuple. L’Etat comme technostructure est une mafia au service d’un petit nombre d’individus. Cela nous indique qu’une période que nous appellerons « oligarchique » vient de succéder à la période nationale étatique.
L’ensemble du monde occidental est maintenant entré dans cette période oligarchique. En 1990, la mafia oligarchique a eu l’espoir d’y faire entrer aussi la Russie. Ce projet a été contrecarré par Vladimir Poutine, même si la Russie paraît encore écartelée entre une faction soucieuse de l’Etat et une faction prête à basculer dans le camp oligarchique. La résistance de la Russie au projet oligarchique explique sa diabolisation et la volonté à peine dissimulée de la faire disparaître.
Le cas de la Chine, quant à lui, s’est posé dès la fin des années 1970. La puissance oligarchique semble avoir eu le projet d’investir l’Etat Chinois en constituant des entités économiques suffisamment puissantes et en capacité d’orienter la politique d’Etat du PCC. En organisant des transferts de capitaux, de technologies et d’usines clés en main, l’oligarchie occidentale a probablement voulu créer de toute pièce une oligarchie chinoise qui par intérêt de classe ne pouvait que faire cause commune avec elle. Cette géopolitique oligarchique dont l’objectif était de mettre sur pied un gouvernement oligarchique mondial qui s’étendrait de l’Occident à l’Asie, en attendant d’absorber la Russie, a semble-t-il échoué en août 2020, quant le PCC a décidé de reprendre les choses en main et de mettre officiellement fin à la comédie covidiste. L’obligation de se tourner vers le marché intérieur et d’abandonner une mondialisation ne présentant plus aucun intérêt (tous les transferts de technologie étaient réalisés) a sonné le glas d’un mondialisme chinois articulé sur le modèle occidental (de ce point de vue, l’opération Covid a peut-être paradoxalement précipité la fin d’un processus menant vers la société planétaire. Les luttes de factions en Chine, faction oligarchique vs faction étatiste, avec la victoire de cette dernière, ayant ramené les prétentions oligarchiques à un gouvernement mondial à celles d’un gouvernement dans la seule zone OTAN/OCDE).
Ce qui caractérise la période oligarchique est le rapport des nouvelles élites dirigeantes avec le peuple. Le fait nouveau est l’hostilité catégorique que cette élite oligarchique manifeste envers les populations qu’elle domine. Le PCC est totalitaire, mais ne traite pas sa propre population en ennemie. L’élite oligarchique nourrit un antagonisme avec le peuple qui découle moins d’une relation de domination que d’un rapport destructeur vécu comme un enjeu pour sa propre survie. Du point de vue de l’oligarchie, le peuple est l’altérité radicale. Sorte d’ennemi héréditaire, il représente une menace existentielle qu’il faut absolument éliminer, d’autant que l’intelligence artificielle et le transhumanisme lui permettront bientôt de se passer des multitudes.
Désormais, pour l’oligarchie, le peuple n’est plus un moyen de construire sa propre puissance mais un obstacle à cette puissance, voire un potentiel danger pour elle-même. Pour la première fois dans notre histoire, la caste qui figure au sommet de la société a entrepris de briser celle-ci pour y rester. La Caste entend désormais mener une existence autonome, sans le boulet que représente le peuple. La Caste se dissocie du peuple, et ne masque plus son intention de l’effacer, de le gommer et finalement de le faire disparaître. La seule solution serait pour le peuple de faire lui-même sécession et de se constituer en société parallèle. C’est ce que nous préconisons depuis plusieurs années. Nous entrerions alors dans une nouvelle « période ». Est-ce encore possible ?
Antonin Campana