"Il n'y a pas de pénurie aujourd'hui dans les grands magasins et les commerces alimentaires", et s'il devait y en avoir demain, "je le dirais aux Français et ils seraient informés pour que nous prenions les dispositions nécessaires", vient d’affirmer le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
Comme pour les masques ?
Bien sûr, vous avez le droit de croire notre gouvernement… ou pas !
Pour les sceptiques et les prévoyants, voici quelques chiffres bruts que le lecteur retrouvera facilement en pianotant sur internet. Il faut avoir à l’esprit que, pour le moment, le commerce international, qu’il soit maritime, ferroviaire ou aérien, est quasiment à l’arrêt. La moitié de la planète est désormais confinée. D’autre part, il faut savoir que des secteurs, qui ne sont pas aujourd’hui considérés comme « stratégiques » pour notre alimentation, la chimie ou la papeterie par exemple, pourraient se révéler indispensables à l’avenir. Si la rupture des chaînes d’approvisionnement se poursuivait trop longtemps, il pourrait y avoir, quoi que dise le gouvernement, d’importantes pénuries alimentaires (sans même parler d’un usage du droit de retrait par les routiers ou les caissières). Voici donc quelques chiffres qu’il faudra analyser dans la perspective possible ou probable, selon votre humeur, de la prolongation de la rupture des grandes artères du commerce international. A chacun de se faire sa propre opinion et d’agir en conséquence. Donc voici :
- Riz :
La production française de riz est de 55 000 tonnes par an. Or, nous consommons 459 000 tonnes de riz par an (compris brisures de riz, riz décortiqué, paddy). Les importations se font à partir de l’Italie, du Cambodge, de Thaïlande, du Pakistan… 88 % du riz que nous consommons est donc importé et dépend de chaînes d’approvisionnement internationales.
Pour information, dans l’Italie du Nord confinée (25% de nos importations), la culture du riz commence en mars, mois durant lequel on laboure les terres, elle se poursuit au mois d’avril, durant lequel on plante le riz, et se termine en septembre, mois durant lequel on fait les récoltes. La production de riz italien sera-t-elle impactée par l’épidémie ?
- Pâtes alimentaires :
Production française : 231 164 tonnes.
Importations (64% d’Italie) : 547 706 tonnes
Les pâtes alimentaires consommées en France sont donc à 70% des produits d’importation.
A noter : pour faire ses pâtes, l’Italie importe elle-même 35% du blé dur nécessaire, principalement du Mexique, du Canada, des Etats-Unis et d’Ukraine.
- Pommes de terre
La France produit environ 6 millions de tonne de pommes de terre par an. Environ la moitié est exportée sous forme de pommes de terre fraîches. Notre pays produit aussi environ 1,07 million de tonnes de produits transformés à base de pommes de terre (purées, produits déshydratés, produits surgelés, frites surgelés…). Cette production est insuffisante, aussi notre pays importe-t-il 600 000 tonnes de produits transformés (37% de sa consommation), principalement de Belgique et des Pays-Bas.
- Viandes
Importation de 279 000 tonnes en 2019, soit :
30% des viandes porcines consommées (UE)
25% des viandes bovines (UE, Etats-Unis, Brésil…)
40% de la volaille (Brésil, Thaïlande, UE….)
- Fruits et légumes
Importation de 50% des fruits et des légumes consommés (Espagne, Maroc, Pays-Bas, Chili…)
Points positifs : nous sommes excédentaires en blés (production de 37 millions de tonnes) bien que nous importions 297 504 tonnes de blés tendres et 28% de la semoule de blé que nous consommons. Nous sommes également largement excédentaires en produits laitiers : 40% de la production part ainsi à l’étranger !
Points négatifs, qu’il faut peut-être envisager :
- D’une part, faute de main d’œuvre qualifiée, il n’est pas du tout certain que la production de nos maraîchers soit au rendez-vous.
- D’autre part, qu’en est-il de l’industrie de l’emballage alimentaire ? En effet, comment commercialiser un yaourt sans son pot ou un cassoulet sans sa boîte ? L’industrie de l’emballage alimentaire repose sur quatre piliers : le plastique (30%), le papier carton (34%), le métal (14%) et le verre (11%). Cette industrie nécessite chaque année des millions de tonnes de matières premières (12.5 millions de tonnes pour les seuls emballages plastiques), dont une partie significative est là-aussi importée. L’industrie de l’emballage alimentaire importe ainsi environ 2.2 millions de tonnes de papier carton (2017) et 221 000 tonnes de fer-blanc (pour la fabrication des boîtes de conserve). La plasturgie, qui fabrique les emballages plastiques, doit importer de l’éthylène et du propylène. Plasturgie, chimie, métallurgie, papeterie, verrerie… : toutes ces industries ne sont-elle pas « stratégiques » ? A bien y regarder, tout, ou presque, n’est-il pas « stratégique » d’un point de vue alimentaire ? Comment une société peut-elle s’arrêter de travailler sans que cela ait tôt ou tard un effet sur ce qui ira dans son assiette ?
Bien entendu, il faut prendre ces chiffres avec précaution. Il revient au lecteur de se faire sa propre opinion et de se préparer en conséquence. Le pire n’est jamais sûr : il y a sans doute des stocks ( ?), les échanges internationaux peuvent reprendre tout-à-fait normalement dans les jours qui viennent et nous pourrions certainement trouver des solutions alternatives. Comme pour les masques ! Et d’ailleurs, dans le pire des cas, se priver avec un peu de volonté de 30 ou 40% de nos rations alimentaires quotidiennes fera du bien à beaucoup d’entre nous. A chaque problème sa solution : si la situation perdurait, on pourrait même voir réapparaître les tickets de rationnement. Ils ont fait leur preuve, personne n’est mort de faim pendant la guerre ! Il est vrai que la population était alors homogène, largement rurale et relativement disciplinée. Aujourd’hui…
Quoi qu’il en soit, restons confiants. Foi de Bruno Le Maire : en cas de pénuries, on sera prévenu !
Antonin Campana