Ceux qui suivent régulièrement ce blog auront compris nos désillusions quant au projet autochtoniste, que nous avons pourtant proposé durant plus de sept ans (cf. Antonin Campana, La Nation Frankenstein, Un Plaidoyer pour s’en libérer, 2013. Epuisé). Nous pensons en effet que, par la force des choses, cette stratégie de mise en résilience des peuples autochtones européens, doit être temporairement mise de côté (même si, de manière théorique, nous nous permettrons de la travailler encore dans ce blog). Il y a deux raisons à cette mise en sommeil forcée. D’une part, il faut l’avouer, cette stratégie n’intéresse personne (peu importe pourquoi, cela est un fait). D’autre part, cette stratégie de long terme se concilie mal avec la précipitation et demande une certaine tranquillité pour être déroulée. Or, depuis quelques mois, l’enchaînement des évènements est si rapide qu’il nous force à réagir dans l’urgence et à penser moins à la construction de cette stratégie qu’à l’anticipation du prochain choc (N.B. précisons à nouveau, entre parenthèse, que la stratégie autochoniste que nous proposons n’est pas invalidée pour autant. Dans notre esprit, elle est seulement différée, car, à vrai dire, on en trouvera pas d’autres pour assurer la survie des peuples européens).
Ceci étant dit, et puisqu’il nous faut anticiper le prochain choc, nous voudrions communiquer au lecteur les éléments qui suivent.
La plupart des commentateurs et analystes, y compris au plus haut sommet de l’Etat, pensent qu’un choc économique succèdera au choc sanitaire. Certains anticipent même un « effondrement ». Du coup cela nous a fait penser aux travaux de l’anthropologue et historien Joseph Tainter sur l’effondrement des sociétés complexes. Nous nous sommes posés cette question : la complexité de notre société peut-elle faciliter son effondrement ?
En leur commencement, les sociétés humaines ne sont pas très « complexes » : tout le monde vit de ce qu’il produit, fabrique ou chasse. Avec le temps, les sociétés se complexifient : de plus en plus de gens ne produisent plus directement, tout en dépendant des biens fabriqués par d’autres. Prenons l’exemple du Bâtiment. On peut imaginer que, dans une société primitive, les gens construisent leur propre maison et n’ont pas besoin d’intermédiaires pour l’habiter. Dans une société complexe, la construction est confiée à des maçons et de nombreuses professions vont dépendre directement du produit de leur travail : promoteurs, agents immobiliers, notaires, assureurs, banquiers… Ces professions sont évidemment indispensables… mais nous pouvons dire que les maçons produisent un bien tangible, une maison par exemple, alors que les autres professionnels, dépendant entièrement du travail des maçons, rendent un « service ». D’une manière générale, moins est importante la proportion de ceux qui produisent des biens réels, plus la société est complexe.
De ce point de vue, nous nous sommes livrés à une petite approche comparative, à partir des statistiques fournies par la Banque Mondiale et l’INSEE. Nous avons distingué les emplois « improductifs » du secteur des services, de ceux, « productifs », de l’industrie et de l’agriculture. L’industrie et l’agriculture produisent des biens réels (des produits manufacturés, des avions, des céréales, des pommes de terre…), les services produisent des… services. Le secteur des services regroupe l’ensemble des emplois de l’administration publique, du commerce, de l’hébergement-restauration, de l’Enseignement, de la Santé, de l’action sociale, de la banque, etc. Nous avons comparé, pour différents pays, les emplois productifs (de biens réels) et les emplois de service.
Ainsi, en France, 77,08% (plus de 20 millions) des emplois sont liés aux services, et 22.92% des emplois produisent des biens réels (ceux de l’agriculture,2.6%, de l’industrie, 13.32%, et de la Construction, 7% environ). En d’autres termes, cela signifie qu’en France il y a seulement 2 actifs environ qui produisent des biens réels pour 8 actifs qui produisent des services. De plus, la part des emplois liés au service est en progrès, alors que celle liée à l’industrie et à l’agriculture est en recul.
Alors que le secteur des services représente 77% des emplois en France, la richesse produite par ce secteur représente seulement 56% de la richesse totale produite par le pays (1087,6 milliard d’Euros, en 2015). Encore faut-il fortement relativiser cette richesse produite. Ainsi l’Administration ou la Police sont comptabilisées dans le PIB selon le principe que la richesse qu’elles produisent est égale à leur coût (où comment transformer une charge en gain !). De plus, il faut avoir à l’esprit que les emplois productifs sont souvent les plus mal payés. Les hauts salaires se rencontrent dans le tertiaire et les plus bas dans l’agriculture. Le secteur des services, majoritaire, exerce une pression sur le secteur productif, minoritaire, afin de capter l’essentiel de la plus-value que celui-ci génère. Cela s’observe clairement, par exemple, dans les rapports entre la grande distribution et le monde agricole. Quoi qu’il en soit, on peut se poser la question de l’avenir d’une société qui s’organise de telle manière que 8 personnes dépendent du travail de 2 personnes. Encore ne parle-t-on ici que de la population active. Ramené à la population totale, le rapport est de 11 pour 2 !
Nous avons donc classé les pays selon le nombre d’emplois affectés à la production de biens réels par rapport au nombre d’emplois qui dépendent directement ou indirectement de cette production. Nous obtenons trois groupes :
- 1er groupe : 5 à 6 actifs sur 10 produisent des biens réels
Dans ce groupe, nous trouvons la Chine (5), la Turquie (5) et l’Inde (6-7)
- 2e groupe : 3 actifs sur 10 produisent des biens réels
Dans ce groupe, nous trouvons l’Allemagne, la Russie, le Japon, la Corée et, surprise, l’Italie (en raison de son réseau de PME)
- 3e groupe : 2 actifs sur 10 produisent des biens réels
Dans ce groupe, nous trouvons les Etats-Unis, la France, l’Espagne, le Royaume Uni, la Suède, le Canada ou l’Australie…
Question : combien de temps une société complexe peut-elle durer quand seulement 2 « productifs » de biens réels pourvoient aux besoins essentiels de 8 (ou 11 !) « improductifs » ? La crise sanitaire nous a montré que nous manquions de lits, de masques, de médicaments, de respirateurs, de blouses, de gants… et que nous étions incapables d’en fabriquer ! Si nous avions eu des troubles civils, nous nous serions rendus compte que nos fusils sont désormais fabriqués en Allemagne, que nos pistolets automatiques viennent d’Autriche, que nos munitions sont fabriquées en Israël, au Brésil ou aux Emirats arabes unis, que même nos rangers sont fabriquées en Tunisie, que les treillis des militaires sont fabriqués en Bulgarie et en Roumanie et que les uniformes des policiers et gendarmes viennent de Tunisie et de Madagascar !
Faute de « productifs » en nombre suffisant, nous importons une grande partie des biens dont nous avons besoin. Nous échangeons ces biens contre de l’argent tout droit sorti de la BCE. Nous échangeons nos masques, nos munitions 5,56, nos ordinateurs, nos téléphones et la plupart des pièces de nos voitures contre du vent, ou presque : contre des Euros, c’est-à-dire de la monnaie fiduciaire ! On le sait, la valeur d’une monnaie fiduciaire est fixée par la confiance que leur accordent ceux qui l’acceptent. Or, depuis 2008, les pays du groupe qui compte 2 « productifs » pour 8 « improductifs » ont pris l’habitude de faire fonctionner la planche à billet à la moindre alerte financière ou économique. Aujourd’hui encore, alors que leurs entreprises sont à l’arrêt, ces pays impriment des centaines de milliards d'Euros et de Dollars pour faire face à la crise économique qui vient ! En d’autres termes plus la production régresse, plus on fait marcher la planche à billet, au risque de diminuer la valeur de la monnaie.
On nous répondra que nous avons nos exportations. Néanmoins, les deux fleurons de nos exportations, l’aéronautique et le luxe, seront-ils toujours aussi lucratifs dans un monde qui se contracte et se referme ? Si le tourisme de masse ne redémarre pas très vite (outre que deux millions d’emplois directs et indirects en dépendent en France), c’est toute l’industrie aéronautique qui sera touchée durablement. Et quelle sera la place du luxe à la française dans un monde forcé d’aller à l’essentiel ?
Nous sommes donc dans une situation assez compliquée : il n’est pas exclu que nos fournisseurs perdent bientôt confiance en la valeur de notre monnaie (monnaie qu’ils ne pourront peut-être plus nous retourner par le tourisme), et nous ne sommes pas capables de les payer en biens réels. Comment dès lors se procurer tous les biens de consommation qu’ils produisent et qui font notre « qualité de vie » ? Terminés les télévisions pas chères, les smartphones, les voitures électriques, les tondeuses à gazon, les ordinateurs à bas coût, la « société de consommation » ? Retour garantie aux années 50, avec en toile de fond une crise sociale et des émeutes allochtones ?
En fait, pour revenir à Joseph Tainter, plus nombreux sont ceux qui vivent du travail des « productifs », plus la société est complexe… et plus la société est proche de son effondrement. Il se pourrait, l’avenir nous le dira rapidement, qu’en dessous de 3 « productifs » sur 10, une société ne soit plus viable.
Dans le schéma exposé par Tainter, une société qui s’effondre aura tendance à se fractionner en entités plus petites et moins complexes, c’est-à-dire plus résilientes. Nous voyons parfaitement s’ébaucher les contours de ces futures entités. Certaines ont déjà mis en place un certain nombre de structures destinées à les organiser. Elles se tiennent prêtes pour ce saut prochain dans l’inconnu. C’était un peu dans cet esprit que nous avions proposé notre projet autochtoniste. Mais il semble que les Autochtones aient un attachement profond pour ce modèle chironné de société, qui s’effondrera, malgré eux, à la première brise, et dont ils seront les derniers à sortir.
La crise qui succèdera à celle du coronavirus sera une crise économique carabinée. L’Occident sortira vaincu et laminé de la crise sanitaire. La valeur de sa monnaie était essentiellement fondée sur un prestige hérité du passé, sur une réputation. Le monde se persuadait de la supériorité de l’Occident, donc de sa monnaie. Aujourd’hui, la débâcle intellectuelle, morale, économique, sanitaire, technologique, scientifique… des pays occidentaux apparaît à tous. L’humiliation est terrible. Personne, pas plus nous que nos fournisseurs, ne peut désormais ignorer l’effondrement civilisationnel de l’Europe et des Etats-Unis : tout le monde voit que leur réputation n'est plus justifiée. L’Occident a déchu. Le Roi est nu. La conséquence inévitable sera la dépréciation de ses monnaies et le tarissement d’un commerce fondé sur l’échange de biens réels contre du vent. Une époque est en train de se terminer.
Prêts ?
Antonin Campana