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Terre Autochtone

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Le blog des aborigènes d'Europe, par Antonin Campana


Vous ne vous intéressez pas au pic pétrolier ? Vous avez peut-être tort !

Publié par Antonin Campana sur 10 Mars 2019, 18:46pm

Catégories : #International

Vous ne vous intéressez pas au pic pétrolier ? Vous avez peut-être tort !

Notre douceur de vivre est en grand partie liée au pétrole. Presque tout ce que nous consommons dérive directement ou indirectement de cette énergie primaire : textiles, plastiques, caoutchoucs, chaussures, médicaments, peintures, asphalte, carburants, détergents, parfum... Du pétrole se cache dans notre ordinateur, notre smartphone, notre jean, notre voiture nucléaire électrique et même dans les énergies renouvelables dont les composants sont extraits et transportés par des engins fonctionnant au pétrole, sur des routes goudronnées au pétrole. Pour faire une seule puce électronique de 32 mégabits DRAM il faut 1,5 kg d’énergie fossile. Pour faire une voiture (ou dix ordinateurs) il faut 27 barils de pétrole (Eric Laurent, la face cachée du pétrole, Plon, 2006). Mais surtout, le pétrole est un élément indispensable à l’agriculture. Il est nécessaire au fonctionnement des machines agricoles et il est indispensable à la fabrication des engrais, pesticides, herbicides (pétrochimie) : « L’agriculture est devenue une filière de transformation du pétrole en nourriture », rappelle Jean Lahèrrere, ancien directeur des techniques de prospections du groupe Total. En résumé, le pétrole nous est vital, au sens littéral du terme : pour faire une calorie alimentaire, il faut en moyenne dix calories d’énergie fossile ! De ce point de vue, le débat sur un possible « pic pétrolier » ne doit pas faire sourire, ni être écarté d’un revers de main.

 

Le pic pétrolier ou « peak oil » est l’instant à partir duquel la production pétrolière mondiale va stagner puis décliner irrémédiablement. On pourrait même envisager le peak oil  différemment, en s’écartant un peu de sa définition conventionnelle : ce pourrait être le moment à partir duquel la demande mondiale sera supérieure à ce que la planète pourra fournir. Ou encore : ce pourrait être le moment à partir duquel, les réserves étant suffisantes pour satisfaire la demande, il deviendra trop coûteux de les exploiter (en raison de leur nature ou de leur situation géologique).

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le pic pétrolier a été atteint, pour le pétrole conventionnel, en 2006. Certains analystes envisagent que ce pic aurait pu provoquer la crise de 2008 (mon explication, toute personnelle, est la suivante : une dette est une promesse de remboursement sur le travail futur. Travailler signifie transformer le monde. Or, qui dit transformation dit utilisation d’énergie. Moins il y a d’énergie, plus nos capacités à transformer le monde sont réduites. Le pic pétrolier de 2006 signifiait concrètement que la croissance était terminée, donc que les dettes pourries ne seraient jamais remboursées. Ceux qui les  possédaient devaient donc s’en débarrasser au plus vite… ce qui a causé la crise des subprimes ! L’AIE a rendu publique son annonce de pic en 2010, mais il est probable que les spéculateurs avaient été informés bien plus tôt). On sait que les conséquences du pic de production de pétrole conventionnel ont été en partie différées en raison de l’exploitation du pétrole de schiste aux Etats-Unis (ce qui n’a pas empêché la crise, dont nous ne sommes pas sortis d’ailleurs).

Je soumets au lecteur ces deux graphiques récents, provenant de l’Agence Américaine de l’Energie :

Production mondiale de brut (source EIA)

Production mondiale de brut (source EIA)

Sur cette figure nous voyons très clairement que la production de pétrole de la plupart des pays a chuté depuis 2005. Autrement dit, ces pays ont atteint leur pic de production. Seul l’apport des Etats-Unis en pétrole non-conventionnel (à partir de 2010-2011), et l’augmentation de la production irakienne après la guerre (vers 2013), ont pu donner à la production mondiale une légère pente ascendante.

Courbe cumulative de production 2005-2018 (source EIA)

Courbe cumulative de production 2005-2018 (source EIA)

La figure ci-dessus montre la production cumulée de pétrole entre 2005 et 2018. Si l’on enlève les Etats-Unis et l’Irak, nous constatons qu’en 2018 la production mondial de pétrole se maintient avec énormément de peine au niveau de 2005. Cette situation est-elle rassurante ?

Pas vraiment. Tout d’abord, la production irakienne est à la merci d’une situation géopolitique très instable mais aussi de tensions internes qui menacent le pays d’explosion. Ensuite, et surtout, la pérennité des gisements américains est loin d’être assurée.

 Le dernier rapport annuel de l’AIE (2018) (voir ici l’article de Matthieu Auzanneau), prévoit que pour endiguer le déclin de la production mondiale de pétrole, il faudra que les extractions de pétrole de schiste aux Etats-Unis soient multipliées par deux et même par trois d’ici 2025 (ce qui est peu probable admet l’AIE).  Or tout montre que le pétrole de schiste aux Etats-Unis a sans doute atteint son pic de production. Matthieu Auzanneau, énumère quelques faits incontestables que le lecteur pourra vérifier de lui-même en faisant quelques recherches : 

  • Trois quarts des sociétés œuvrant dans le pétrole de schiste sont déjà virtuellement en faillite 
  • La production des puits décline rapidement (au bout de quelques mois), il faut donc constamment forer de nouveaux puits : du coup les investissements sont supérieurs aux gains
  •  L’industrie du pétrole de schiste, qui perd de l’argent, fonctionne essentiellement par la dette.
  • Ajoutons que les signes du ralentissement de la production de pétrole de schiste se multiplient (chute du nombre d’appareils de forage, baisse des investissements, ralentissement du rythme de croissance de la production, chute de la vente d’actions et d’obligations : voyez ici).

Espérer que les Etats-Unis compensent l’affaissement de la production mondiale de pétrole relève sans doute de l’utopie. L’AIE n’y croit d’ailleurs pas elle-même. La production mondiale de pétrole restera probablement sur un plateau encore quelques temps avant de commencer à s’effondrer avant 2025.

Voici maintenant quelques données calculées à partir des éléments figurant sur la figure 1 et de ce que nous savons par ailleurs de l’évolution de la population mondiale.

En 1990, la population mondiale était d’environ 5.3 milliards d’individus. La production mondiale de pétrole était d’environ 62 millions de barils par jour. Chaque milliard d’êtres humains avait donc un gâteau de 11,7 millions de barils par jour à se partager.  

En 2018, la population mondiale est d’environ 7,5 milliards. La production mondiale de pétrole s’élève quant à elle a environ 82 millions de barils par jour. Chaque milliard d’êtres humains dispose donc d’un gâteau de 10,9 millions de barils par jour. Autrement dit, le gâteau a diminué de quasiment 7 %. Et durant cette période, des Etats prédateurs ont fait la guerre en Afghanistan, en Irak, en Lybie, en Syrie…

Les démographes estiment que la population mondiale sera d’environ 9,8 milliards d’individus en 2050. En admettant que la production de pétrole reste stable autour de 82 millions de barils par jour (ce qui est impossible en l’état, sauf découverte de gisements exceptionnels), alors chaque milliard d’individus disposera de 8.37 millions de barils par jour. Le gâteau aura diminué de 28% par rapport à 1990 et de 23 % par rapport à 2018. Est-ce un hasard si les Etats-Unis, dont la production de pétrole de schiste va rapidement se tarir, lorgne aujourd’hui sur les réserves du Venezuela, de la Russie et de l’Iran ?

L’AIE annonce qu’à moins d’un miracle, le pic pétrolier, tous pétroles confondus, sera atteint d’ici 6 ans. Si l’on ramène la quantité de pétrole extraite à la population mondiale, ce pic a déjà été atteint. Dit autrement, il va falloir lutter pour conserver sa part du gâteau... et la lutte a déjà commencé. Les Chinois ou les Indiens veulent vivre demain comme vivent aujourd’hui les occidentaux : ils ne le pourront pas. Les nouvelles générations occidentales voudront vivre comme vivaient les anciennes : elles ne le pourront pas. 2 milliards de personnes souffrent de carences alimentaires dans le monde : leur nombre va augmenter. Tout cela est mathématique, physique et géologique. Pour satisfaire les besoins de toute l’humanité, il faudrait plus de « croissance », donc plus de production de tout, donc plus d’énergie (on considère que l’énergie contenue dans un baril de pétrole correspond à 25 000 heures de travail humain !). Notre douceur de vivre est liée à l’énergie disponible : en d’autres termes cela veut dire que la fête est terminée !

Si l’on veut que chaque individu conserve une part constante du gâteau énergétique, il n’y a qu’une seule solution, sachant que la quantité de pétrole est une donnée géologique fixe : il faut diminuer la population mondiale ! C’est probablement ce vers quoi s’achemine la planète. Je ne crois en effet ni à la capacité humaine de se restreindre avant d’y être obligée, ni à la capacité de notre société de remettre en cause la mondialisation et son organisation (toute la chaîne du système alimentaire de notre société globalisée repose sur un pétrole abondant et bon marché. On sait que chacun de nos aliments a parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver dans nos assiettes), ni aux « énergies renouvelables » (des leurres qui ne sont pas à la hauteur des enjeux !). Comme un métronome, la population mondiale augmente quant à elle de 89 millions d’individus tous les ans. En dix ans, 890 millions ! Comment allons-nous nourrir, loger, vêtir ces nouveaux arrivants avec moins de pétrole, alors qu’aujourd’hui nous n’y parvenons déjà pas (une personne sur neuf souffre de la faim, rapport de l’ONU) ? Sans avoir de boule de cristal, il semble possible de prédire des temps extrêmement difficiles. 

Pour conclure, laissez-moi vous parler de la Corée du Nord. 

Dès la fin de la guerre en 1953, la Corée du Nord a entamé sa reconstruction et a cherché notamment à augmenter les rendements de son agriculture. Elle y est parvenue en utilisant des méthodes agricoles modernes basées sur l’emploi de machines diesels, d’engrais chimiques, d’herbicides et autres pesticides. L'agriculture traditionnelle, moins rentable, a été abandonnée.

On sait que les méthodes de cultures modernes permettent une rentabilité accrue avec une main d’œuvre moins importante. Les travailleurs surnuméraires ont ainsi rejoint l’industrie et ont participé à son développement. Tout cela a parfaitement fonctionné, comme dans nos pays, jusqu’à ce que l’Union Soviétique s’effondre au début des années 1990. La fourniture de pétrole quasi gratuit par l’URSS a immédiatement cessé. Entre 1989 et 1992, les importations de pétrole en provenance de l’URSS sont ainsi passées de 500 000 tonnes par an à 30 000 tonnes. L’Etat nord-coréen devait désormais acheter son pétrole au prix du marché international, ce qu’il était incapable de faire.

Très vite, le pétrole est donc venu à manquer. Très vite l’économie du pays s’est effondrée. L’agriculture intensive basée sur le pétrole a commencé son irrémédiable déclin. Le parc de machines agricoles, moins utilisé faute de carburant, s’est progressivement détérioré (il a été estimé que seulement 20% de toutes les machines agricoles étaient en état de marche à la fin des années 90). Dès lors, la Corée du Nord n’avait plus d’autre solution que de revenir à une agriculture traditionnelle. Mais qui dit « agriculture traditionnelle » dit davantage de bras : il a donc  fallu soustraire à l’industrie un grand nombre de travailleurs (à la fin des années 80, 25% de la main-d'œuvre était engagée dans l'agriculture; ce pourcentage est passé à 36% au milieu des années 90). Et qui dit « agriculture traditionnelle » dit aussi moindres rendements (on estime que le rendement agricole a diminué de 60% en Corée du Nord), allongement des cycles, repos de la terre….

Une diminution des rendements agricoles de 60% c’est, concrètement, plusieurs millions de morts. Le Monde du 05 mars 1999 fait état de trois millions de morts en Corée (le pays comptait alors vingt deux millions d’habitants). Des cas de cannibalisme sont attestés. En 1998 la FAO (l’organisme de l’ONU consacré à l’agriculture), estime la récolte coréenne à 2,66 millions de tonnes de céréales. Or, toujours selon la FAO, la subsistance minimale de la population nord-coréenne exige 4 millions de tonnes de céréales. Seul le Programme Alimentaire Mondiale endiguera la catastrophe et sauvera le peuple coréen.

C’est vrai que le régime nord-coréen est un régime communiste et qu’à ce titre il fait preuve de certaines « rigidités ». Néanmoins, sans le pétrole et ces dérivés obtiendrions-nous davantage de résultats ? Michael Meacher, ancien ministre de l’environnement du Royaume-Uni (1997-2003), estimait dans le Financial Time qu’avec la fin du pétrole  “la civilisation affrontera le plus aigu et sans doute le plus violent bouleversement de l’histoire récente”.

Antonin Campana

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M
C'est vrai que le pétrole décline. Et donc pour se sauver et maintenir son niveau de vie l'Humanité devra se tourner vers d'autres solutions, notamment l'énergie nucléaire. C'est la seule source d'énergie qui réponde à tous les critères : abondance, constance, puissance, relative compacité et peu polluante comparée au bénéfice. Les réacteurs à neutrons rapides et combustible liquide sont l'avenir. Le rendement des ce type de centrale est près de 100 fois supérieur aux réacteurs actuels et la quantité de déchets et réduite de plus de 90%. Il ne reste que des déchets de moins de 400 ans de demi-vie, et seulement quelques tonnes (pas plus d'un semi-remorque) par an à l'échelle d'une puissance industrielle comme la France. Pour moi il n'y a pas de fatalité. Il faudra que l'Humanité atteigne un degré de sagesse supérieure. Il faudra la paix sur Terre car ce n'est pas tant l'énergie qui pose problème que la rapacité des plus riches, en particulier les anglo-saxons et les guerres qu'ils provoquent pour garder leur statut dominant tels des tyrans planétaires. Si les USA ont envahi l'Irak c'est bien pour piller sans vergogne ses ressources pétrolières. Pareil pour les tension avec le Venezuela et l'Iran. De toutes façons pétrole ou pas tant que nos sociétés seront dominées par des aristo-psychopathes l'Humanité et la vie sur Terre seront toujours au bord de l'extinction.
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B
Vous dites que les nouveaux réacteurs nucléaire seront 100 fois plus productif !!!<br /> Mais tout bouilleur à eau a un rendement max de 30% et ce rendement est déjà atteint depuis longtemps, vous êtes complètement à coté. La loi de Carnot s'applique aussi dans ce cas et vos rêves les plus fous n'y changeront rien. La physique a des lois alors arrêtez de dire n'importe quoi !
M
Bonjour,<br /> Vous écrivez "régime nord-coréen est un régime communiste et qu’à ce titre il fait preuve de certaines « rigidités ». Vous verrez comme les pays occidentaux se comporteront, vis-à-vis de la population lorsque les moments durs seront là. Ils ne seront pas rigides, mais tueurs, car psychopathes. Une bonne partie des pauvres seront morts de faim. Avant de mourir, les pauvres anéantiront une partie des riches.<br /> Joyeusetés en perspective !
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A
Bonjour,<br /> Nous sommes d'accord, et les moments dont vous parlez ne sont peut-être plus si lointains...<br />
R
Votre article est intéressant et pose une vraie question souvent éludée ou abordée de manière détournée. La raréfaction du pétrole est un sujet encore tabou et l’oligarchie préfère la traiter sous un angle écologiste : il faut réduire notre production et notre consommation non par peur de la pénurie mais pour lutter contre le CO2. Or, cette énergie s’épuise même si cela n’est pas encore très visible. Les énergies alternatives ne pourront pas tout remplacer même si on essaie de nous amuser à court terme avec les éoliennes et les piles électriques. Mais dans un siècle ou deux ? Cela aura forcément des conséquences sur notre manière de produire, de consommer et tout simplement de vivre. Les populations seront sans doute moins mobiles et les grands voyages l’exception : adieu les week-ends de shopping à New York. Une énergie chère et rare remettra sans doute la sédentarité à l’ordre du jour. La limitation des déplacements et leur longueur sera de nouveau une règle de vie d’abord économique puis culturelle. C’est une contre-mondialisation qui se dessine ainsi quand on aborde le sujet sous cet angle. On comprend que les mondialistes ne souhaitent pas le voir.
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M
Remarquable et indispensable
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M
Je suis d'accord.Article tres interessant et indipensable. Merci.
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