Ainsi donc, à l’occasion du dîner annuel d’une organisation qui ne cache pas sa sympathie pour un Etat étranger (ce n’est pas la Russie), Emmanuel Macron, président du régime politique en place, a déclaré que l’antisionisme était une des formes modernes de l’antisémitisme et même qu’il fallait n’avoir « aucune complaisance » pour ceux qui voudraient boycotter les produits de l’Etat étranger en question (confirmation que ce n’est pas la Russie). Une modification de la loi suivra...
A tous les demeurés qui veulent confondre antisionisme et antisémitisme nous pourrions répondre que tous les Juifs ne sont pas sionistes, voyez par exemple les Neturei Karta, et que tous les sionistes ne sont pas Juifs, voyez par exemple les sionistes chrétiens. Nous pourrions également leur répondre que le sionisme est une idéologie et qu’il n’est pas plus raciste de reprocher à quelqu’un d’être sioniste que de lui reprocher d’être communiste… ou fasciste. Mais pourquoi énoncer des évidences dont les demeurés en question, agités par quelque lobby qui n’existe pas, ont parfaitement conscience ? Voyons plutôt les choses sous un autre angle.
Si je ne me trompe, le sionisme est une idéologie qui prétend que les Juifs font partie du peuple juif, que le pays de ce peuple est Israël et qu’à ce titre tous les Juifs ont le droit de « retourner » sur leur terre ancestrale, c’est-à-dire « chez eux ». Le théoricien sioniste Israël Zangwill énonçait en 1901 : « la Palestine est un pays sans peuple ; les Juifs sont un peuple sans pays ». Cela donnera le célèbre slogan sioniste : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ».
Donc, si je dis, par exemple, que les Juifs français font partie du « peuple français », que leur « pays » est la France, qu’ils n’ont rien à faire en Palestine et qu’ils n’ont aucun droit à s’y installer, les demeurés dont nous parlons plus haut diront que je suis antisioniste, donc que je suis antisémite.
Mais si au contraire, m’inscrivant totalement dans la doctrine sioniste, je dis que les Juifs français ne sont pas chez eux quand ils sont chez nous, puisqu’ils sont chez eux quand ils sont en Israël, que les Juifs sont des étrangers qui résident au milieu du peuple français, puisqu’ils sont d’un autre peuple, le « peuple juif » en l’occurence, et que les Juifs doivent s’en retourner dans leur pays, qui ne peut être qu’Israël et non la France, alors les mêmes demeurés dont nous parlons plus haut diront sans doute que je suis antisémite !
Ainsi, pour un demeuré, un non-Juif ne peut être ni antisioniste, car l’antisionisme est par définition de l’antisémitisme, ni sioniste, car le sionisme réduit les Juifs à leur altérité, ce qui relève tout autant, du point de vue demeuré, de l’antisémitisme.
Pour un non-Juif, il n’est cependant pas impossible d’être sioniste sans être antisémite. Mais pour cela il faut court-circuiter toute manifestation d’intelligence et de réflexion, afin de pouvoir manifester sereinement les opinions les plus contradictoires et les plus inconciliables qui soient. Autrement dit, il faut pratiquer une « doublepensée » orwelienne qui empêche raisonnement et esprit critique pour « retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux » (Orwell, 1984). Le demeuré lobotomisé doit croire à l’opinion selon laquelle « le pays des Juifs du monde entier est Israël », sans pour autant réfuter l’opinion selon laquelle « le pays des Juifs français est la France ». Il doit concilier la certitude que « les Juifs du monde entier appartiennent au peuple juif » avec la conviction que « les Juifs français appartiennent au peuple français ». Il doit accepter l’idée que des Juifs français sont des Israéliens à part entière, tout en avertissant qu’ils sont des Français à part entière. Il doit pouvoir proclamer que la République est « une et indivisible » tout en se rendant à des dîners communautaires qui expriment sa segmentation… L’exercice est difficile et demande de grandes capacités d’auto-manipulation.
Le plus cocasse dans cette tentative puérile de sanctuariser l’idéologie sioniste est que cette tentative émane des milieux républicains. Les pauvres politiciens incultes de la République une et indivisible ne connaissent même plus les principes fondamentaux des doctrines politiques dont ils se réclament pourtant. Relisez Clermont-Tonnerre : les Juifs ont été associés au corps politique faisant république à condition que la démarche soit individuelle et que les Juifs ne forment plus par la suite, sous peine de bannissement, une « nation dans la nation», un « ordre » ou un « corps politique », bref qu’ils ne constituent plus jamais une « section du peuple » ou, en langage moderne, une « communauté ». Or le sionisme pose précisément que les Juifs forment un « corps étranger au milieu de diverses nations » (Herzl, L’Etat juif), un « élément hétérogène (…) qui ne peut être assimilé par aucune nation » (Léon Pinsker, Autoémancipation), une nation dans la nation qui doit se constituer en corps politique (d’où, à partir du Congrès de Bâle en 1897, l’Organisation sioniste mondiale, le Comité d’action sioniste, les fédérations sionistes nationales, les sections sionistes locales et même l’hymne national, le drapeau national, les institutions et le projet d’Etat sioniste…). Le sionisme nargue la République. Il signifie que le « pacte républicain » est un mythe, qu’il y a rupture unilatérale de contrat et que Clermont-Tonnerre s’est fait berner. Un républicain sioniste est donc un républicain pour qui les Juifs forment toujours un « corps étranger », une « nation dans la nation », un « ordre », bref une communauté que la république n’a jamais réussi à intégrer et qui est destinée à s’émanciper pour s’installer dans une autre patrie (Pinsker : « Quelle est notre patrie ? Un sol étranger ! » - Autoémancipation). C’est un républicain qui proclame que le modèle républicain ne marche pas, que le pacte républicain est un leurre et que la république est une construction artificielle destinée à se désintégrer sous le poids des tensions identitaires qu’elle a elle-même créées. Bref, c’est un individu qui remet en cause la forme républicaine de gouvernement.
Mais ce n’est pas tout, car admettre que les Juifs forment un « peuple », que les Juifs de France sont une fraction de ce « peuple » et qu’à ce titre ils ont vocation à rejoindre leur « pays », remet en cause le caractère indivisible de la République. Cette indivisibilité est l’un des postulats fondateurs du pacte républicain et de toute la construction idéologique imaginée par le régime. C’est d’ailleurs en raison de cette indivisibilité que le Conseil Constitutionnel a refusé, en 1991, la référence à un « peuple Corse » (décision 91-290 du 09 mai 1991).
Le « républicain sioniste » désavoue donc le pacte républicain, remet en cause l’indivisibilité du « peuple français », discrimine selon l’origine, la race et la religion, et détruit le principe d’égalité (pourquoi les Juifs formeraient-ils un « peuple » et pas les Corses, ou les Autochtones de ce pays ?). En bref, il remet en cause la forme républicaine de gouvernement… ce qui est formellement interdit par la Constitution, le Code pénal, ainsi que diverses lois établies par le régime en place. Un véritable républicain ne peut être qu’antisioniste, c’est-à-dire antisémite, selon les demeurés. Ils devraient le savoir : l’alliance des mots « républicain » et « sioniste » est un oxymore.
En résumé les demeurés qui entendent une fois de plus restreindre la liberté d’expression créent un dilemme cornélien :
- Soit nous sommes sionistes, discriminant les Français selon qu’ils sont Juifs ou non-Juifs, mais alors nous sommes racistes et antisémites, ce qui est interdit par la loi. De plus, nous remettrions alors en cause les fondements mythologiques du régime en place, ce qui est aussi interdit par la loi ;
- Soit nous sommes antisionistes au nom de la République égalitaire, une et indivisible, mais alors nous sommes antisémites, ce qui sera bientôt interdit par la loi ;
La seule option qu’il nous reste est d’être à la fois républicain et sioniste. Autrement dit, si l’on ne veut pas subir l’imbécilité d’une loi inique et la violence judiciaire qui lui sera associée, il nous faudra impérativement pratiquer la double-pensée : il faudra accepter une sorte d’esclavage intellectuel !
Ne soyons pas dupes, l’assimilation de l’antisionisme à une forme d’antisémitisme a pour seul objectif de servir les intérêts d’un Etat étranger et de délégitimer les revendications de la population palestinienne. Le problème est que cette assimilation restreint le domaine de la liberté d’expression dans notre pays et marque une dérive de plus en plus totalitaire du régime en place : cette assimilation dessert les intérêts du peuple français, donc de la France. Autrement dit, Emmanuel Macron sacrifie les intérêts de la France pour protéger les bases idéologiques d’un Etat étranger ! Haute trahison ?
Dans le même mouvement, et toujours pour protéger les bases idéologiques d’un Etat étranger, Macron trahit aussi les bases idéologiques et constitutionnelles du régime dont il est le président ! De cela on s’en fiche, mais c’est assez extraordinaire pour être noté !
Antonin Campana