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Terre Autochtone

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Le blog des aborigènes d'Europe, par Antonin Campana


Marche républicaine à l’Universel : le système métrique

Publié par Antonin Campana sur 24 Janvier 2019, 15:42pm

Catégories : #Perspectives Autochtones, #Les joies de la nation Frankenstein

Marche républicaine à l’Universel : le système métrique

La réforme des poids et mesures procède autant d’une nécessité pratique que d’une volonté d’expérimenter et de prouver par le concret la validité des  théories universalistes républicaines. Ce fut un succès, au contraire d’autres expérimentations révolutionnaires qui se fracassèrent sur le mur des réalités, ou qui se soldèrent par des contraintes insupportables sur les populations.

 

 L’Ancien Régime avait parfaitement conscience de la nécessité d’une harmonisation des poids et mesures. Qu’on y pense : une perche, unité de longueur, faisait 20 pieds quand elle est « ordinaire », 18 pieds quand elle était « de Paris », 22 pieds pour les Eaux et Forêts. Mais de quel pied parlait-on ? Le pied de Paris faisait 12 pouces, mais celui d’Amiens faisait 11 pouces et 6 lignes et celui de Doullens 3 lignes de moins que celui d’Amiens ! L’arpent, mesure de surface, faisait de 35 à 50 ares selon les localités. Pour mesurer une distance vous pouviez vous servir selon le cas de la lieue de Paris (3933 mètres), de Picardie (4444m) voire de Provence (5849m). Vous pouviez mesurer la capacité des liquides en veltes mais attention : s’agissait-il d’une velte ordinaire (8 pintes), d’une velte de Paris (7.45 litres) ou d’une velte des Charente (7.617 litres) ? Tout cela donnait un système de poids et mesure extrêmement complexe, avec plus de 700 unités de mesures, qui handicapait le commerce.

 

 Sous Charlemagne, et dès avant semble-t-il, les poids et mesures sont uniformes dans l’Empire et dépendent des étalons conservés au Palais. L’éclatement de l’Empire et l’apparition du régime féodal expliquent cette diversité des poids et mesures malgré l’action de la monarchie qui cherchera plutôt à restaurer l’ancienne uniformité. Dans les années qui précèdent la Révolution, différents projets voient le jour. Citons pour mémoire l’ordonnance d’Henri II de 1557 ou les travaux  de Gabriel Mouton (1670). Il reviendra cependant à la Révolution de les concrétiser aux forceps, mais il paraît évident que cela se serait fait sans elle, un peu plus tard et plus paisiblement : le pays était « mûr » pour cela.

 

 Toutefois, la République est universelle en ses valeurs et ses appétits. Aussi, au contraire d’Henri II, de Colbert ou des ministres de Louis XVI dont les tentatives n’ont d’autres ambitions que l’unification du Royaume, la République universelle ne peut se satisfaire d’une entreprise trop «nationale ». La République s’adresse à l’ « Homme » en général, un homme qui a des « droits naturels » découlant de sa nature et dont les « droits de l’Homme » sont une expression d’application universelle. Aussi lui faut-il un étalon tout aussi universel… et découlant tout autant de la nature. Une commission de scientifiques (Borda, Condorcet, Laplace, Lagrange et Monge) est donc nommée pour établir cet étalon.

 

Dans un rapport du 19 mars 1791 à l'Académie des sciences, la commission en question déclarera :

 

« L'idée de rapporter toutes les mesures à une unité de longueur prise dans la nature, s'est présentée aux mathématiciens dès l'instant où ils ont connu l'existence d'une telle unité et la probabilité de la déterminer. Ils ont estimé que c'était le seul moyen d'exclure tout arbitraire du système des mesures, et d'être sûr de le conserver toujours le même, sans qu'aucun autre événement, qu'aucune révolution dans l'ordre du monde pût y jeter de l'incertitude ; ils ont senti qu'un tel système n'appartenant exclusivement à aucune nation, on pouvait se flatter de la voir adopter par toutes... ». Condorcet précisera le 26 mars : il est important pour  la fraternité des peuples   « de choisir un système qui puisse convenir à tous les peuples » (discours Salle du Manège).  L’Assemblée constituante décrètera le même jour (26 mars 1791) :

 

« Considérant que, pour parvenir à établir l'uniformité des poids et mesures, il est nécessaire de fixer une unité de mesure naturelle et invariable et que le seul moyen d'étendre cette uniformité aux nations étrangères et de les engager à convenir d'un système de mesure est de choisir une unité qui ne renferme rien d'arbitraire ni de particulier à la situation d'aucun peuple sur le globe... adopte la grandeur du quart du méridien terrestre pour base du nouveau système de mesures qui sera décimal; les opérations nécessaires pour déterminer cette base, notamment la mesure d'un arc de méridien depuis Dunkerque jusqu'à Barcelone seront incessamment exécutées ».

 

D’une nécessité pratique, simplifier le système de poids et mesures de la nation,  on était passé à une ambition planétaire : faciliter une sorte de mondialisme grâce à l’adoption par toutes les nations d’un même étalon universel jugé indestructible, bref d’un même « système » : le système métrique.

   

 Les écoliers d’autrefois apprenait qu’un système « est l’ensemble des parties arrangées entre elles et qui se relient toutes à une base commune. Ainsi, le système métrique est l’ensemble de toutes les mesures qui se relient au mètre, comme base commune » (Mémento de poche du Certificat d’Etudes, 1936).

 

Les écoliers apprenaient aussi que ce système métrique est « uniforme » et que pour mesurer « on se sert partout des mêmes mesures dérivant du mètre ». Autrement dit, la République a mis en place une sorte de système de conversion qui ramène la diversité du monde à une certaine quantité d’un « étalon universel ». Le système métrique traduit toutes choses en mètres ou dérivés du mètre (longueur, surfaces, poids, monnaie...), c’est-à-dire en « même ». Par son universalité revendiquée, il gomme ce qui n’est pas quantifiable et, en cela, correspond parfaitement au système de pensée de la bourgeoisie qui a pris le pouvoir avec le coup d’Etat de 1789.

 

La transmutation du monde en mètres va le rendre homogène (tout se ramène au mètre et à ses déclinaisons), quantifiable (le monde est la somme des mètres et de ses déclinaisons), convertible en argent (puisque le Franc lui-même dérive du mètre).  Le mètre est donc la « mesure » universelle par excellence (les mots mètres et métriques viennent du grec où ils signifient « mesure »). Tout ce que ne mesure pas le système métrique ne peut ni se vendre, ni s’échanger : pour un bourgeois, cela n’existe pas.

 

Le mètre est le dix-millionième partie du quart du méridien terrestre. C’est donc « une unité de longueur prise dans la Nature » (sic). A partir du mètre, il est possible de définir des longueurs, des surfaces, des volumes, des poids et jusqu’à la monnaie (c’est d’ailleurs la monnaie qui inaugure le système métrique par le décret du 07 décembre 1793).

 

Ainsi, l’unité de longueur est le mètre ; l’unité de surface est le mètre carré, soit 1 mètre que multiplie un autre mètre ; l’unité de volume est le mètre cube, soit 1 mètre multiplié trois fois ; l’unité de poids est le gramme soit un volume d’un centimètre cube rempli d’eau distillée ; l’unité monétaire est le Franc, soit une pièce d’un poids de 5 grammes d’argent (5 centimètres cubes rempli d’eau distillée) . 

 

Grâce à la Nature, la République montre qu’à partir d’une même base universelle on peut  mesurer aussi bien la surface d’une forêt, le volume d’un océan, la longueur d’une route que le prix d’un morceau d’étoffe. D’autre part, cette base est décimale car toutes les unités (longueur, surface, volume, poids, monnaie...) croissent et décroissent de 10 en 10 ou suivant un multiple de 10. On parlera par exemple de mètre, décamètre, hectomètre, kilomètre... pour les longueurs ; ou de multiple et sous-multiples décimaux pour la monnaie (centime de Franc, décime de Franc, Franc, 10 Francs, 100 Francs...).

 

La construction proposée est donc tout à fait géométrique. Elle est constituée pour chaque unité de modules décimaux qui non seulement s’imbriquent les uns dans les autres du plus petit au plus grand mais qui sont aussi compatibles avec les modules des unités voisines. Ainsi différentes unités peuvent se conjuguer (une unité, quelle qu’elle soit, conjuguée à l’unité monétaire va par exemple  donner un prix, une unité de longueur conjuguée avec une unité de surface va donner un volume…). Nous sommes bien en présence d’un système dont les parties (longueur, surface, monnaie...) se relient sur une base commune universelle. Le système métrique, ou système décimal, est un outil qui réalise parfaitement le fantasme républicain et bourgeois d’un monde rationnel, homogène, quantifiable et réduit à un prix.

 

 On pourrait croire que la « mesure universelle »  était une nécessité incontournable. On ne peut nier en effet qu’une réforme fût indispensable. Devait-on rechercher pour autant  un système de poids et mesures qui soit « uniforme » et « universel » ? Les « pouces », les « pieds », les « milles », les « labourées de bœufs », les « gallons » et les « barriques », mesures anglaises assez singulières bien que parfaitement étalonnées, n’empêcheront  pas la Grande-Bretagne de faire du commerce et de nous précéder largement dans sa révolution industrielle.

 

 Quoi qu’il en soit, ne nions pas l’efficacité et la simplicité du système métrique décrété par la Révolution. La réforme était capitale et couvait depuis un moment dans les ministères. Néanmoins, relevons ici l’obsession d’universel qui la sous-tend. Indéniablement, si la nécessité obligeait cette réforme, l’idéologie lui a donné son orientation. Pour les révolutionnaires, il fallait absolument prouver que tout dans la Nature pouvaient être réduit à une quantité de quelque chose. Le mètre est donc à la nature ce que l’individu est à la société. De même que le monde est une addition de mètres, une société, ou un peuple, est un agrégat d’individus. En prouvant l’universalité du système métrique, la République prouvait l’universalité de son système de gouvernement. 

 

Antonin Campana

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Y
Article passionnant. <br /> Mais je ne parviens pas à être contre cette réforme, uniquement parce qu'elle serait "universelle". Les maths sont universel, les lois de la physique aussi. Alors pourquoi nos instruments de mesure ne le seraient-ils pas.<br /> Pour le coup, je trouve que c'est une bonne idée. En tout cas j'aurais eu la même.<br /> <br /> Notons que la seconde découle aussi du mètre : c'est le temps que met un pendule de 1 m à osciller. A partir de la masse, de la second et de la distance, on peut reconstruire tous les autres unités utilisées en physique.<br /> J'ignorais que le Franc était 5gr d'argent, c'est très élégant comme définition et ça donne un étalon universel, en effet.
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Y
ha oui, je ne m'étais pas attardé sur cette image très évocatrice, en effet !<br /> Merci d'avoir pris le temps de m'expliquer. Je comprends.<br /> Au final le système métrique s'est imposé sur la terre entière (à quelques nuances près), ce qui suggère que ça répondait à un besoin mondial. Mais j'ignorais en effet le projet politique qui le sous-tendais.
A
Un système peut être scientifiquement incontestable. Les motivations idéologiques de ceux qui le conçoivent et de ceux qui vont l’utiliser, pour justifier un projet politique par exemple, peuvent ne pas l’être. Le système métrique a été conçu pour simplifier le système des poids et mesures, ce qui est très bien, mais aussi pour être un vecteur du mondialisme, ce qui est plus critiquable. Ce qui cloche n’est pas le système lui-même mais ce à quoi il a servi. Voyez l’image qui illustre cet article.
Y
Antonin,<br /> je pense que je ne comprends pas pleinement le sens de cette phrase. Je comprends le coté "délirant" de vouloir réduire la nature à des quantités de ceci ou cela, mais, je suis partagé en tant que scientifique car je trouve leurs idées d'unités de mesure très élégantes. Pour tout dire, j'aurais sûrement proposé la même chose.<br /> Qu'est-ce que vous auriez proposé de différent vous ? que je puisse "voir" ce qui cloche dans le système métrique (souvent on comprends par la comparaison).<br /> Par exemple le système anglais vous le trouvez mieux ?
A
Ce n'est en effet pas la réforme qui est contestable (elle était nécessaire), mais ce qui la motive : <br /> "Pour les révolutionnaires, il fallait absolument prouver que tout dans la Nature pouvaient être réduit à une quantité de quelque chose. Le mètre est donc à la nature ce que l’individu est à la société. De même que le monde est une addition de mètres, une société, ou un peuple, est un agrégat d’individus. En prouvant l’universalité du système métrique, la République prouvait l’universalité de son système de gouvernement".
Z
"La république prouvait l'universalité de son système de gouvernement" et l'on voit aujourd'hui l'universalité des limites de ce système.
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