Nous voyons sous nos yeux l’Histoire se faire, l’Histoire avec une majuscule !
Réduire le mouvement des gilets jaunes à une colère motivée par l’augmentation des taxes sur l’essence et le diesel, voire à une exaspération liée à la réduction du pouvoir d’achat, revient à confondre les apparences superficielles et les réalités profondes. Cette erreur, faite par de nombreux commentateurs, biaise l’analyse et interdit de percevoir la dimension véritablement historique du phénomène.
Tout d’abord, au-delà des distinctions géographiques (France des métropoles vs France périphérique) et sociales (France d’en bas vs France d’en haut), il convient de noter que la France des gilets jaunes est une France constituée essentiellement de natifs. Les Allochtones des banlieues ne participent pas au mouvement, ou très peu. Cette explosion de colère ne peut donc être dissociée des réalités ethniques. Elle signale et met en lumière la fracture du vivre-tous-ensemble : la France autochtone fait sécession du périmètre républicain, périmètre qui inclut et mélange les hommes sans distinction d’origine, de race ou de religion.
La France des gilets jaunes est ensuite une France qui a certes conscience de subir un déclassement social (elle s’appauvrit), mais qui n’en a pas moins conscience de subir un déclassement identitaire, ethnique et sociétal. C’est cette France, une France caricaturée et souvent réduite au racisme, qui s’interroge sur les progrès de l’islam dans notre pays, sur les reculs de la laïcité, sur l’arrivée des migrants qu’on installe de force dans ses villages, sur le progressisme sociétal que la télévision fait pénétrer dans ses foyers (mariage homosexuel, idéologie du genre, militantisme féministe…). On ne peut certes généraliser, mais on peut dire sans se tromper que pour la plupart de ces gilets jaunes la « transidentité », par exemple, est incompréhensible, quand elle ne relève pas de la pathologie mentale, et que le mariage entre deux hommes n’est guère qu’un sujet de plaisanterie. Globalement, le discours « progressiste sociétal » véhiculé par les médias leur semble venir d’une autre planète. De la même manière, on peut dire, sans se tromper, que pour la plupart de ces gilets jaunes « il y a trop d’immigrés en France ». Tous les gilets jaunes savent que des natifs vivent et meurent dans la rue alors que des Allochtones logent à leur frais dans des hôtels. Et de moins en moins le supportent. Pour la plupart de ces gilets jaunes enfin, l’islam est un danger. Ils sont conscients que la République transige, discute et recule à leurs dépends. Ils savent, parce qu’ils le voient au quotidien, que les rapports de forces démographiques sont en train de basculer en faveur des musulmans et des extra européens. Et cela leur fait peur. Derrière les propos sur le « pouvoir d’achat », c’est donc la conscience du déclin à la fois social, ethnique, culturel et sociétal de la France autochtone qui explique le soulèvement des gilets jaunes.
Pourquoi ne le disent-ils pas ? Ils le disent d’homme à homme, mais rarement devant une caméra. Ou alors il faut « décrypter ». Même s’ils contestent le Système, les gilets jaunes sont parfaitement conscients des lignes rouges à ne pas franchir : parler du pouvoir d’achat est possible, mais pas des migrants. Néanmoins, le Pouvoir en place sait parfaitement de quoi il en retourne. D’où ces propos ministériels sur la « peste brune », l’ultra droite, le racisme des gilets jaunes, voire leur antisémitisme, ou qui pointent du doigt Marine Le Pen.
Enfin, la France des gilets jaunes conteste d’une manière générale : le président de la République, le gouvernement, les partis, l’Assemblée nationale, les institutions, les médias-Système, bref la République en son ensemble. Non seulement les gilets jaunes contestent la légitimité de la « représentation nationale » et appellent à dissoudre l’Assemblée, mais ils refusent d’être eux-mêmes représentés, ce qui pose un problème insoluble au gouvernement. Comment traduire cela ?
La contestation des institutions, de l’Etat, du système représentatif sur lequel repose le régime (les politiciens, les partis, les élus…) remet directement en cause la République, ce qui, du point de vue de la mythologie développée par celle-ci, signifie une remise en cause du « peuple » global, conçu comme « corps d’associés ». En effet, le mot « république » est (toujours selon cette mythologie !) l’autre nom du corps politique en son entier. Remettre en cause la République revient à remettre en cause le corps politique engendré par le régime depuis deux siècles, c’est-à-dire la communauté civique melting-pot faite d’individus sans distinction d’origine, de race ou de religion. Cela n’est pas formulé, mais cette lecture peut se lire en filigrane et recoupe à la fois le caractère autochtone des manifestations et la remise en cause de la société ouverte installée par le régime (la mondialisation économique et migratoire). Ce qui se profile derrière ces manifestations, pour peu qu’on leur donne du sens et qu’on ne les réduise pas abusivement à leur caractère social, est une contestation globale du régime au nom d’un peuple Autochtone qui se sent à juste titre acculé économiquement, socialement, ethniquement, identitairement, culturellement et sociétalement.
Mais la révolte de ce peuple blanc de culture européenne vient à la fois trop tard et trop tôt.
Trop tard, car le problème est aussi profond que multiforme et ne se réglera pas par quelques manifestations. Trop tôt, car les Réfractaires n’ont pas encore mis en place l’Etat parallèle autochtone que nous appelons de nos vœux.
Seul un Etat autochtone pourrait donner du sens et rendre véritablement efficace cette lutte autochtone. Seul un Etat autochtone pourra légitimement porter les revendications autochtones. Si la lutte des gilets jaunes avait été sublimée par un Etat autochtone, le régime serait aujourd’hui forcé de traiter avec cet Etat. Et cette négociation vaudrait reconnaissance du peuple autochtone. Comment, dès lors, le régime pourrait-il refuser des droits à un peuple qu’il reconnaît de facto ? Et comment pourrait-il au final lui refuser le droit de disposer de lui-même ?
Antonin Campana