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Terre Autochtone

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Le blog des aborigènes d'Europe, par Antonin Campana


République et Empire

Publié par Antonin Campana sur 29 Octobre 2018, 15:13pm

Catégories : #Les joies de la nation Frankenstein, #Perspectives Autochtones

République et Empire

 

L’historien Juif Flavius Josèphe, né à Jérusalem vers 37 de notre ère, mort à Rome vers l’an 100, rapporte dans ses Antiquités juives un édit de l’empereur Claude qui renouvelle les privilèges des Juifs dans tout l’empire romain et qui se conclut en ces termes : « Notre volonté est que [les Juifs] jouissent [de leurs lois] dans toute l’étendue de l’Empire, pour les obliger par cette preuve de notre bonté à ne point mépriser la religion des autres peuples, mais à se contenter de vivre en toute liberté dans la leur » (AJ XIX,4).

Un empire est une agrégation de peuples et de communautés. La clé de voûte de la politique impériale doit être le « vivre ensemble » des divers éléments nationaux qui composent cet agrégat artificiel. Un empire peut s’écrouler s’il est détruit de l’extérieur par un ennemi puissant mais plus encore s’il se disloque sous l’action de forces centrifuges internes. L’empereur doit veiller à la bonne entente de ses peuples et pour cela subtilement maîtriser les intolérances de certains d’entre eux. C’est pourquoi Claude renouvelle ici le droit des Juifs à vivre selon leur loi tout en leur demandant de ne pas mépriser la religion des autres, ce qui pourrait entraîner, peut-on supposer, des réactions tout aussi intolérantes en retour. L’Empire se construit dans le monde réel, le monde tel qu’il est, et cherche en fonction de cette réalité des solutions pour exister et prospérer.

Tout autre est la République. La République, tout au moins dans sa version 1789, est fondée sur la théorie rousseauiste du « contrat social ». Le « pacte républicain » est en effet un contrat social qui associe des individus sans distinction d’origine, de culture ou de religion à un « corps d’associés »  fonctionnant sur la base de valeurs universelles. Si l’Empire agrège des peuples, la république agrège des individus retirés de leur peuple pour les faire « vivre ensemble » dans le même « creuset ». Au principe impérial de réalité, ou de realpolitik, la République substitue le principe d’idéalité. Claude voit le monde réel et légifère pour mettre de l’huile dans les rouages, le républicain édicte des lois  qui font avancer un projet idéologique tout droit sorti de l’imagination pervertie de philosophes ayant vécu au XVIIIe siècle. L’un accepte la réalité de son temps, l’autre la refuse et cherche à la contraindre.

Le réel s’impose toujours à l’idéologique, aussi la République a-t-elle été obligée, dans les faits plus que dans les discours, de devenir plus « impériale ». L’affaire Dreyfus fut le premier mur des réalités pris en pleine face par le régime. Jusque là, conformément aux principes énoncés par Clermont-Tonnerre en 1789 (« tout refuser aux Juifs comme nation, tout accorder aux Juifs comme individus »), le régime avait officiellement nié la persistance en France du peuple juif, tout en dénonçant l’existence d’une « race » dont les membres « votent en bloc comme juifs » (Jaurès, par exemple, La Dépêche de Toulouse, 1er mai 1895). La création à Paris en 1860 de l’Alliance israélite universelle et le sionisme naissant ont sans doute alimenté cette idée de la persistance au milieu du peuple français d’un « petit peuple égoïste et dur » (Benoit Malon, La Revue Socialiste, juin 1886).  Après l’affaire Dreyfus, les républicains mâtés font mieux que de cesser de dénoncer la persistance d’un peuple juif : ils acceptent cette existence, se refusent désormais à voir le « sentiment de franc-maçonnerie » qui anime les Juifs selon les frères Goncourt, et ne tardent plus à soutenir le sionisme, c’est-à-dire une idéologie qui affirme que les Juifs de tous les pays, y compris donc de France, forment un peuple distinct qui a droit à une existence nationale ! En acceptant que les Juifs de France soient membres d’un peuple particulier (le peuple juif) ou d’une communauté distincte de la communauté nationale (la communauté juive), les républicains renient Clermont-Tonnerre et montrent que le « pacte républicain » n’est qu’une vaste galéjade. Mais d’un autre côté, ils prennent en compte le monde réel : la République devient un Empire, à charge pour elle de faire cohabiter dans le même espace politique deux peuples différents.

L’immigration de peuplement va être pour la République un second mur des réalités. Tout comme elle avait reconnu que le peuple juif n’avait pas été désagrégé et qu’il existait toujours en France, la République sera forcée de reconnaître dans les faits qu’une communauté noire existe, qu’une communauté musulmane existe, qu’une communauté turque existe, qu’une communauté maghrébine existe, qu’une communauté asiatique existe… Elle se précipitera aux dîners des uns ou des autres, accèdera à leurs exigences politiques ou religieuses, cautionnera la création de leurs institutions représentatives… bref, la République reconnaîtra de facto l’existence de sociétés parallèles vivant côte à côte et entretenant des relations plus ou moins conflictuelles. Comme l’empereur Claude, au 1er siècle de notre ère, les républicains d’aujourd’hui vont tenter de persuader tout ce beau monde vivant dans le même espace politique désormais hétérogène, de « ne point mépriser la religion des autres peuples » (« Bisounours vaincra ! »). La République confirme qu’elle est devenue Empire ! Elle n’agrège plus des individus, elle tente d’agréger des peuples. La différence entre l’empire de Claude et celui de Macron est que ce dernier concentre la « diversité » sur un territoire si minuscule qu’il ne peut être qu’un baril de poudre.

C’est un fait : la République est maintenant une sorte d’empire. Alors je m’adresse aux Autochtones : où est votre « communauté » ? Où sont vos « institutions représentatives » ? Où sont vos « représentants » ? Quels sont vos « dîners » ? Qui sont les politiciens qui vous courtisent ? Où est le « vote autochtone » ? Vous n’avez rien de tout cela, donc vous n’existez pas. Vous n’êtes rien, et même moins que rien. C’est pourquoi la République vous méprise, vous humilie, vous traite comme de la m…  Vous êtes le seul peuple de l’Empire qui reste passivement désagrégé, croyant naïvement être représenté par une République qui ne cache pas son caractère universel. Comprenez-vous ? «Universel » signifie qu’elle ne vous appartient pas plus qu’aux Juifs, aux Algériens ou aux Sénégalais installés au milieu de vous !  « Universel » signifie qu’elle ne vous représente pas davantage que les dizaines de milliers de naturalisés de l’année dernière ! L’empereur Claude a accordé des droits au peuple juif parce que le peuple juif se comportait comme un vrai peuple. La République impériale, quant à elle, se couche devant les communautés étrangères mais n’accorde aucun droit au peuple autochtone : même pas le droit à l’existence ! Un déni de justice ? Pas du tout : pour être respecté en tant que peuple, il faut se poser et s’imposer en tant que peuple.

Antonin Campana

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Texte dense sur des sujets sensibles de notre passé et bientôt peut-être impossible à évoquer. Dans l’Empire, à mon avis, une tolérance était accordée aux Juifs qui ont bénéficié dans la République d’un statut privilégié. Communauté fermée et peuple d’élite, ils sont parvenus à s’infiltrer dans tous les centres du pouvoir républicain mais en se fondant dans la communauté nationale. Les Arabes veulent bénéficier à présent de ce même statut à part mais sans se fondre dans cette même communauté. C’est là où le bât blesse : Zemmour affirme qu’il y a désormais deux peuples sur le territoire : les Français de souche et les Musulmans. Or, c’est faux ; il y a trois peuples : les Juifs, les Musulmans et les Autochtones, ces derniers étant à vrai dire devenus des étrangers dans leur propre pays.
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