Pour être Autochtone, nous l’avons vu, il faut être originaire par voie ancestrale des terres ancestrales qu’on habite. Pour le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNTRL), un Autochtone est ainsi un « originaire du lieu où il habite et où ses ancêtres ont également habité ».
Celui qui habite sur une terre non-ancestrale, une terre étrangère, ne peut donc être qualifié d’Autochtone. Cependant, il le sera dès lors qu’il aura réintégré la terre de ses ancêtres (par la remigration). On peut donc naître autochtone, si l’on naît sur ses terres ancestrales, ou le devenir, quand on y revient après avoir vécu ailleurs.
Ceci étant rappelé, dans quelle mesure un étranger au Grand Peuple européen, habitant au milieu de celui-ci, pourrait-il devenir un Autochtone européen ? Stricto sensu, cela est irréalisable, puisque pour intégrer ce peuple et devenir ainsi un Autochtone européen à part entière, il lui faudrait changer de lignée ancestrale, ce qui est bien sûr impossible… à moins de désamarrer quelque peu la lignée de sa signification strictement biologique. D’autre part, ceci s’ajoutant à cela, il faut souligner que cet hypothétique transfert serait profondément identitaire et non futilement administratif, comme une « naturalisation » en pays républicain.
Pour répondre à cette épineuse question du transfert et de l’intégration de certains étrangers, question qui sera, n’en doutons pas, source de nombreux débats, il serait judicieux d’interroger les communautés résilientes que nous avons déjà observées : c’est en large partie en raison de leur attitude envers les étrangers qui cette résilience a été possible. Comment ces communautés procèdent-elles avec les étrangers qui manifestent le désir de les rejoindre ? D’une manière générale, il est extrêmement difficile pour un étranger, voire quasiment impossible, d’intégrer de tels groupes. Ceux-ci, en effet, ne sont non seulement pas prosélytes, mais érigent la séparation d’avec les étrangers en principe de vie (ou de survie !). La distance qui sépare le « in » du « out » est souvent de l’ordre du pur et de l’impur, c’est particulièrement vrai chez les Juifs, les Roms et les Amish. Aussi, l’éventuelle intégration dans la communauté n’est-elle possible qu’après un véritable processus de purification. Le postulant doit s’extraire du monde et littéralement changer de nature en changeant de peuple.
Un peuple se définit par sa lignée, sa religion et sa culture (religion et culture étant difficilement dissociables). Ainsi, le peuple juif est-il le produit d’une lignée israélite, de la religion juive et de la culture juive. Appartenir au peuple juif, c’est être un « fils d’Israël », c’est être (sociologiquement au-moins) de religion juive, c’est aussi avoir une identité juive. Celui à qui il manque un de ces éléments sera considéré soit comme un étranger, si la lignée israélite lui fait défaut, soit comme un Juif honteux, voire un traître, si par malheur il rejette son identité juive. Le cardinal Lustiger, Juif converti au catholicisme, a pu être considéré par le Grand Rabbin d’Israël comme un « traître au judaïsme ». Par sa conversion, Lustiger cesse d’appartenir au peuple juif (le rabbin Josy Eisenberg rappelle à ce sujet qu’un Juif converti ne peut plus se faire naturaliser israélien voir ici son analyse ). Un être d’appartenance est donc toujours le produit d’une lignée ancestrale, d’une religion et d’une culture. Cela est vrai pour les Juifs comme pour les Européens. Un Autochtone européen est par exemple généalogiquement de lignée européenne (c’est un « fils de Japhet », si nous reprenons une classification biblique), il est sociologiquement de religion helléno-chrétienne et culturellement d’identité européenne. Qu’il manque un de ces éléments et la personne en question ne pourra pas revendiquer l’autochtonie européenne. Il sera soit étranger au Grand Peuple européen ; soit, ce qui est pire, un « traître ».
La trahison peut donc faire passer un individu du « in » au « out ». Mais, processus inverse, comment un individu peut-il passer du « out » au « in » ? Nous avons dit que cette intégration dans un groupe résilient était très difficile et « quasiment impossible ». Autrement dit, elle n’est pas « complètement » impossible.
Chez les Amish le processus est long et douloureux. Il faut d’abord prendre contact avec une communauté amish ; il faut convaincre l’évêque de cette communauté de la pureté de sa démarche. Celui-ci cherchera à décourager le postulant ; Si celui-ci a passé ce premier barrage, il sera placé dans une famille amish qui observera sa conduite aussi longtemps qu’il faudra. Il devra prouver qu’il est digne de se joindre aux Amish ; Celui qui aura passé ce second barrage devra se soumettre à un troisième barrage : le vote de l’ensemble de la communauté amish ; si l’assemblée amish accepte le postulant, le futur amish devra acheter une ferme, il devra apprendre la langue des « ancêtres », il devra s’habiller comme les « ancêtres », il devra vivre et travailler comme les « ancêtres », bref s’identifier progressivement à une autre lignée ; il devra parallèlement connaître parfaitement la religion amish et assister à tous les offices ; S’il n’a pas dérogé aux règles, il pourra demander à être baptisé, ce qui en fera un vrai amish ; Dès lors il devra se conformer à toutes les obligations amish.
Intégrer le peuple juif revient pour un non-juif à subir un processus similaire. La loi juive requiert que le candidat soit fermement dissuadé. Si, malgré tout, il s’obstine et manifeste de la détermination, il subira pendant plusieurs années un processus éducatif extrêmement éprouvant. Au bout de cette épreuve, le candidat subira la circoncision et l’immersion complète dans un bain rituel. A partir de ce moment, la loi juive considère que le candidat a modifié son identité ethnique, religieuse et culturelle. Le converti a changé de lignée, de religion et de culture : il est devenu un « fils d’Israël ». Ses ancêtres étant ceux d’Israël, l’Etat d’Israël considère qu’il bénéficie alors du droit au retour sur la terre de ses ancêtres.
Dans les deux cas, le processus de transfert est une « conversion ». Etymologiquement, une conversion est un « retournement », un changement radical de nature, une transformation. La chose est religieuse à n’en pas douter : on convertit un incroyant en croyant ; la « conversion eucharistique » change le pain et le vin en corps et sang du Christ. Mais le concept de conversion ne se limite pas au seul domaine de la religion. Il s’applique aussi dans des domaines aussi divers que la biologie (transformation d’une cellule), le système des monnaies (changement d’une monnaie pour une autre), la métallurgie (changement de la fonte en acier), l’art militaire (changement de front) ou l’économie (changement de modèle économique). Chez les Amish et les Juifs, la « conversion » est religieuse mais aussi lignagère et culturelle. Le « converti » est l’héritier d’une lignée et d’une identité qui n’étaient pas les siennes au départ. Il doit intimement faire sienne cette nouvelle lignée ainsi que les caractéristiques identitaires qui la spécifient. C’est seulement après cette conversion intime, qui suppose le reniement absolue de la lignée et de l’identité d’origines, que le postulant peut être accepté dans son nouveau peuple. Dans tous les cas, la sélection est sévère et n’est jamais laissée à des fonctionnaires.
En résumé, si un peuple est à la croisée d’une lignée ancestrale, d’une religion et d’une culture, le processus d’intégration dans ce peuple ne peut-être qu’un processus difficile de transformation de soi par l’intériorisation d’une nouvelle lignée, d’une nouvelle religion et d’une nouvelle culture, bref : c’est une conversion (et pas une naturalisation de papier). Dès lors, émerge l’idée de lignée spirituelle, par opposition à celle de lignée charnelle. On pourrait être de lignée européenne par la chair, parce que généalogiquement parlant et de mémoire d’homme, on descend d’Européens ; ou de lignée européenne par l’esprit, parce que spirituellement parlant on a intimement fait sienne la lignée européenne. Quels seraient les avantages et les inconvénients de cette notion de « lignée spirituelle » ?
Le principal avantage est de soustraire l’autochtonisme à l’accusation de racisme : la lignée est aussi un enracinement spirituel, elle n’est pas seulement biologique. Les Juifs utilisent ainsi les conversions pour montrer que le judaïsme n’est pas raciste. Le second avantage est de couper court aux arguments fallacieux selon lesquels tous les Européens auraient « à un certain horizon temporel » des ancêtres d’une lignée non-européenne. Peut-être et alors ? Charnellement, tous les Autochtones européens sont, de mémoire d’homme, de lignée Européenne, et pour le reste, spirituellement, ils ne reconnaissent que cette lignée, à l’exclusion de tout autre.
Le principal inconvénient est que la notion de lignée spirituelle ouvre la voie des conversions et que celles-ci pourraient être trop nombreuses ou trop superficielles. Dans l’un et l’autre cas, elles seraient alors une « blessure » pour le peuple, selon l’expression d’un sage du Talmud. Le meilleur moyen d’atténuer cet inconvénient majeur est de faire ce que font toutes les communautés résilientes : être très regardant sur la qualité des postulants, les décourager systématiquement, leur faire subir une série d’épreuves et juger « leur cœur et leur reins ». Le peuple Autochtone européen devra sans doute se doter d’une instance composée de « sages » dont la fonction sera de filtrer les postulants. Il va de soi qu’être solidaire du destin du peuple autochtone quand celui-ci est stigmatisé, comme aujourd’hui, ouvrira plus facilement les portes que lorsqu’il sera libre, indépendant et puissant.
Il faut donc, selon nous, laisser la possibilité de conversions « au goutte à goutte ». Le concept de lignée spirituelle que sous-tend la conversion nous sera très profitable alors que les inconvénients seront mineurs si ces conversions sont peu nombreuses et bien encadrées.
Mais, bien sûr, il reviendra au futur Parlement autochtone de décider…
Antonin Campana