La dilution du peuple français dans l’universel d’une « société ouverte » est le résultat d’un double mouvement. D’une part, un processus d’émiettement pour que l’individu soit enfin la cellule de base de la société (conformément à la théorie du contrat); d’autre part, un processus qui intègre « contractuellement » et « individuellement » des étrangers de tous horizons.
Ce double mouvement n’a été possible qu’à partir d’une nouvelle représentation mentale du peuple français. Dès l’époque révolutionnaire, le peuple français n’est plus, pour les républicains, un tout organique, indissociable et enraciné mais un agrégat d’individus dont les appartenances d’origine importent peu. En bonne logique, le 24 août 1792, le député Marie-Joseph Chénier pourra ainsi proposer à l’Assemblée « l’adoption de tous ceux qui dans les diverses contrées du monde, ont mûri la raison humaine et préparé les voies de la liberté ». La Révolution n’avait pas attendu le poète : dès 1790, elle avait intégré « individuellement » (Clermont-Tonnerre) les Juifs et une loi du 03 août 1792 prévoyait déjà d’accorder la citoyenneté française à tous les déserteurs des armées étrangères. L’essentiel à retenir ici est que le coup d’Etat de 1789 fait du peuple français un agrégat intégrateur « d’associés » faits citoyens « sans distinction d’origine » (article premier de la Constitution) : la France est conçue comme un « creuset » dans lequel le peuple souche ne pourra que se dissoudre.
Cette représentation mentale d’un peuple français comme simple agrégat d’individus ne correspond évidemment pas aux réalités. Pour mieux affirmer une conception du « peuple français » réduit à un « corps d’associés » sans distinction d’origine, de race ou de religion, les républicains vont donc symboliquement tuer le peuple français en tant que communauté identitaire enracinée. Un triple sacrifice symbolique du peuple réel va permettre de nier qu’il existe, ce qui permettra au passage de réfuter les agressions qu’il pourrait subir.
Le premier sacrifice a lieu le 17 juin 1789 lorsque les représentants du Tiers état prétendent incarner la « nation complète » (Sieyès). La nation dont il s’agit ici est déjà une association et un agrégat « d’individus isolés qui veulent se réunir » (Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers état ?). Cependant, pour la monarchie, c’est le Roi et non pas les représentants du Tiers état, qui incarne la nation. L’idéologie royale pose en effet que le roi possède un « double corps » (cf. Ernst Kantorowicz, Les deux Corps du Roi, Gallimard, 1957). Un corps mortel et terrestre mais aussi un corps politique, mystique et immortel (« le Roi est mort, vive le Roi ! »), ce dernier incarnant seul le royaume et la nation. La nation dont il s’agit ici n’est donc pas un agrégat mais une communauté qui à travers le Roi couronné, Lieutenant de Dieu sur la terre, s’enracine dans le sacré, la lignée et l’identité. Le 17 juin 1789, en prétendant incarner la nation (l’Assemblée se dit « nationale »), le Tiers état tue symboliquement le corps mystique du Roi, et avec celui-ci la nation identitaire qu’il incarne.
Le second sacrifice rituel a lieu le 14 juillet 1790 lors de la fête de la Fédération au Champ-de-Mars. Cette mascarade entrecoupée de « serments civiques » institue la nation comme association d’individus respectant la « loi commune ». Nous sommes à l’origine du « pacte républicain », pacte censé fédérer les hommes sur une base contractuelle. La fête de la Fédération affirme une France-agrégat fondée sur le respect de la Loi et de « l’Assemblée nationale » et tue symboliquement la France éternelle fondée sur 1000 ans d’identité.
Le troisième sacrifice rituel a lieu le 21 janvier 1793 lorsque le Roi est décapité. Le crime n’est plus seulement symbolique. On assassine un homme et à travers lui toute possibilité de restaurer une incarnation mystique et identitaire de la nation. La France semble alors perdre définitivement son lien au sacré.
Nous subissons aujourd’hui un « Grand Remplacement ». Les républicains refusent de le reconnaître car ils nient l’existence du peuple qui en est victime. Pour eux, ne faisant pas de distinctions, le peuple français comme agrégat ouvert ne s’est jamais aussi bien porté. Il faut bien comprendre que ce négationnisme criminel n’est possible qu’en raison du meurtre symbolique dont le peuple français de souche a été victime durant la période révolutionnaire : on ne saurait « remplacer » ce qui n’existe plus. On ne pourra donc faire une analyse correcte du Grand Remplacement sans remettre en cause le régime politique qui l’a rendu possible. Inversement, on ne pourra contrecarrer le Grand Remplacement sans affirmer, contre ce régime, l’existence du peuple français de souche européenne et d’identité helléno-chrétienne.
Antonin Campana