[Dans Synthèse autochtone 12, nous avons posé la question de la survie du peuple autochtone et noté que pour répondre à cette question fondamentale quatre options semblaient diviser aujourd’hui les Réfractaires :
Option 1 : le « Camp des saints »
Option 2 : L’entrisme politique ou métapolitique
Option 3 : Le rémigrationnisme
Option 4 : L’autochtonisme
Nous allons ici envisager la première option]
Les réfractaires connaissent généralement le Camp des saints, ce roman prophétique de Jean Raspail qui annonce en 1973 « la fin du monde blanc, sous l'invasion des millions et des millions d'hommes affamés, «sous-développés», qui constituent les trois quarts de l'humanité » (Le Camp des saints, quatrième de couverture, édition de 1973). A la fin du livre, alors que toute la France s’est couchée, que les soldats ont baissé les armes, que les médias et l’Eglise se sont ralliés aux « migrants », un petit nombre d’hommes retirés dans un mas provençal, choisit de ne pas se soumettre et de résister. Tous vont mourir… sous les bombes des avions français.
Cette tendance à s’isoler dans quelque réduit pour y vivre en hommes libres, en toute autonomie, loin des grandes concentrations allochtones, tente un certain nombre de jeunes réfractaires. Le contexte est bien sûr moins apocalyptique mais la mentalité « camp des saints » est bien la même : constituer de petites communautés organisées et maintenir un pôle de résistance, si possible durable.
La tentation est donc grande de se rassembler, avec quelques familles, dans un lieu sécurisé, pour y vivre de manière permanente, en autosuffisance alimentaire et économique. Est-ce une solution si l’on considère non la survie de l’individu et de son entourage immédiat mais l’avenir du peuple autochtone dans son ensemble ?
A l’évidence non. Le seul exemple d’isolat (relatif) qui me semble avoir réussi est celui du ghetto. Trois raisons expliquent ce succès :
D’une part, l’entre-soi est un élément constitutif de l’identité juive depuis les temps bibliques. Les Juifs ont vu dans le ghetto un moyen de préserver leur autonomie religieuse, judiciaire, linguistique, économique… tout en profitant des avantages que procurait la ville (culture, commerces, sécurité…). C’est pourquoi l’institution d’un quartier juif fermé « ne fut pas mal acceptée par les juifs. Elle fut accueillie plutôt comme une mesure appropriée à un groupe tel que le leur » (Jacob Katz, Exclusion et Tolérances, Lieu Commun, 1987)
D’autre part, le ghetto allait dans le sens des intérêts du pouvoir dominant : il justifiait par son existence une théologie qui faisait de l’Eglise le « véritable Israël » (il allait de soi que ce peuple « dispersé » puis relégué dans la partie la plus déshéritée des villes ne pouvait être le peuple dépositaire de la promesse divine de domination mondiale. Et s’il ne l’était pas, ou plus, c’est que la Promesse appartenait désormais à « l’Israël de Dieu », c’est-à-dire à l’Eglise).
Enfin, le « peuple dispersé » qui rejoint le ghetto ne se limite pas à quelques zélotes voulant vivre selon leurs lois. C’est une communauté organique, reliée aux autres communautés, avec ses intellectuels, ses marchands, ses orfèvres, ses voyous, ses ouvriers, ses mendiants et ses riches.
Un isolat autochtone serait dans une situation complètement différente. L’obligation de déserter les lieux où se concentrent la culture, les universités, la technique, l’économie et le pouvoir ferait perdre tout son attrait à l’entre-soi autochtone. Les isolats autochtones qui malgré tout se constitueraient seraient des cibles faciles pour un Système qui n’aurait aucun désir de les voir se développer et prospérer. Enfin, concentrer des Réfractaires en quelques lieux où ils vivraient de manière autonome, voire autarcique, reviendrait à les désolidariser du destin de leur peuple. Or ils sont la fraction consciente du peuple autochtone. Leur devoir est de réveiller celui-ci, non de l’abandonner.
L’option « camp des saints » ne répond donc pas à la question « comment assurer la survie de notre peuple ? ». Ne pas être dans le monde pour ne pas être du monde empêche d’agir sur le monde. Néanmoins, rien n’empêche de concevoir l’isolat autochtone comme une sorte de « monastère » assurant la pénétration et le rayonnement de son Eglise. L’isolat, entreprise forcement minoritaire dans le mouvement de renaissance autochtone, pourrait alors, par sa contribution, s’inscrire pleinement dans ce mouvement. Sécurisé par l’existence d’un peuple autochtone organisé, les communautés autochtones pourraient, par l’exemplarité de leur mode de vie, l’implication de leurs membres dans la lutte de libération nationale et leur action dépassant le cadre étroit d’un survivalisme indifférent, avoir toute leur place dans un mouvement global dont elles seraient un des aspects. Mais à lui seul, l’isolat autochtone est voué à l’échec et dans tous les cas ne saurait être une solution au problème de la pérennité du peuple autochtone.
Antonin Campana