Dans la Bible, « nommer », c’est prendre possession (c’est pourquoi Dieu nomme… mais ne doit pas être nommé). Autrement dit, disposer de l’usage du nom, c’est disposer de la liberté du nommé. En s’arrogeant le droit exclusif de disposer du mot « Français », la République a signifié qu’elle « possède » le corps national (sur le processus de « possession » voir Synthèse 8), c’est-à-dire qu’elle en dispose comme bon lui semble jusqu’à même changer la nature de celui-ci (Grand Remplacement).
Le nom « Français » est dérivé de nom « Franc ». Autrement dit c’est un ethnonyme qui renvoie à une population européenne de culture française et de religion chrétienne. Cela est vrai jusqu’à la révolution dite « française », précisément jusqu’au moment ou les républicains décrètent que les Juifs sont des « Français » à part entière. Dès ce moment, le nom « Français » ne spécifie plus uniquement ceux qui appartiennent à une lignée européenne, à une culture française et à une religion chrétienne puisque ceux qui revendiquent une appartenance à une lignée israélite, à une culture juive et à une religion juive sont tout autant « Français » qu’eux.
De nombreux pays multiethniques respectent pourtant le droit des peuples et distinguent farouchement la nationalité, liée au groupe ethnique, et la citoyenneté, liée à l’appartenance juridico-administrative. En Russie par exemple, vous pouvez être citoyen russe de nationalité russe mais aussi citoyen russe de nationalité tatare, finnoise, juive, ingouche… En Serbie, vous pouvez être citoyen serbe de nationalité serbe mais aussi citoyen serbe de nationalité hongroise, albanaise, bosniaque… En Israël, vous pouvez être de citoyenneté israélienne mais de nationalité juive, druze, bédouine, arabe…
La Révolution a effacé la distinction entre nationalité et citoyenneté partout où elle a étendu son influence : en France bien sûr, mais aussi en Europe occidentale. Les pays soucieux du droit à l’identité ethnique interdisent de ramener la citoyenneté à une nationalité globale. Ceux qui dans le sillage révolutionnaire ne reconnaissent pas ce droit à l’identité, comme la France, criminalisent au contraire le fait de ne pas automatiquement ramener la citoyenneté à une nationalité globale. En Serbie, par exemple, vous risquez d’être poursuivi en justice si vous dites d’un citoyen serbe de nationalité croate qu’il est un citoyen serbe de nationalité serbe. En France au contraire, vous serez poursuivi en justice si vous contestez la francité d’un citoyen français d’origine ouolof à peine naturalisé.
Dans les pays respectueux du droit des peuples, les gens ont donc à la fois une citoyenneté administrative (ils appartiennent à un Etat) et une nationalité identitaire (ils appartiennent à un peuple). En France, comme dans tous les pays qui ne respectent pas le droit des peuples, les gens ont une citoyenneté-nationalité purement administrative et sans lien aucun avec l’identité. Le mot « Français » ne signe plus alors l’appartenance intime à un groupe ethno-identitaire, mais certifie un enregistrement auprès d’une administration étatique. Or le transfert massif de populations étrangères vite naturalisées a complètement bouleversé ce qui n’était jusque là qu’un choix idéologique sans conséquences concrètes. Tant que les citoyens français étaient tous, ou quasiment, des Français de souche européenne, le mot « Français » gardait sa forte connotation identitaire quoi qu’en disent les républicains. Mais dès lors que plusieurs millions d’allogènes extra-européens ont pu revendiquer ce nom, être « Français » n’a plus voulu rien dire. Le groupe ethnique autochtone, dépossédé d’un nom généreusement distribué à ceux qui le demandaient, s’est ainsi trouvé dans l’impossibilité de se nommer spécifiquement.
Or il est une règle : tout ce qui existe est nommé. Tout ce qui n’est pas nommé n’existe pas. A première vue, le groupe ethnique autochtone semble donc déroger à cette règle puisqu’il n’est pas nommé spécifiquement alors qu’il existe spécifiquement (il existait avant 1789 et la République ne l’a pas encore exterminé). En fait, seuls les républicains ne le nomment pas, car le nommer les obligerait à le reconnaitre, et reconnaître ce peuple les obligerait à lui accorder des droits. Les Autochtones, quant à eux, ont parfaitement conscience de leur existence en tant que membres d’un peuple particulier, d’où l’apparition d’endonymes (noms par lesquels une population se désigne elle-même) : « Français de souche », « ethnoeuropéens », « Autochtones », « Indigènes »… Les Allochtones eux-mêmes perçoivent clairement que les Autochtones de France forment un groupe ethnique distinct et un peuple spécifique qui de ce fait doit être nommé, d’où l’apparition d’exonymes (noms par lesquels une population est désignée de l’extérieur) plus ou moins racistes d’ailleurs : « Céfrans », « Blancs », « Babtous », « Gaulois », « Faces de craie », « souchiens »…
La République refuse que les Autochtones se nomment. C’est le sens qu’il faut donner à l’affirmation constamment psalmodiée et confirmée par les tribunaux : « les Français de souche ça n’existent pas ». La négation du nom est une négation d’existence, donc une négation de droits. C’est un crime qui demande réparation : même les chiens portent un nom !
Cette privation de nom traduit donc une volonté d’anéantissement. Dans la Bible, « effacer le nom » signifie « exterminer » : en privant le groupe ethnique autochtone d’un nom spécifique on attaque sa conscience collective et on l’empêche de se penser spécifiquement, donc d’exister.
Les Autochtones européens de France forment un groupe ethnique : ils le savent lorsqu’ils se nomment, les étrangers le savent lorsqu’ils les nomment, la République le sait lorsqu’elle les nie. La République a usurpé le nom « Français » et l’a illégitimement vidé de son contenu identitaire pour le réduire à une simple catégorie juridico-administrative. Ce faisant, elle a pu aisément le distribuer et ainsi réaliser, croyait-elle, sa vocation universaliste. Ce vol du nom, ce viol de l’identité, explique en partie l’effacement mortifère des Autochtones de France, incapables même de se désigner, donc de se poser politiquement. La perversion de la Cité, disait Platon, commence par la fraude des mots.
Antonin Campana