Le Front National récuse le clivage traditionnel gauche/droite et explique que la recomposition du corps politique sépare désormais les partisans de la nation et les adversaires de la nation, ceux qui croient en la France et ceux qui n’y croient plus, les patriotes et les mondialistes, ceux qui veulent maintenir le cadre national et ceux qui rêve d’un pouvoir supranational.
Le point de vue est d’autant plus séducteur qu’il décrit une réalité palpable et difficilement contestable. Mais de quel côté se situe le FN ? Et qu’entend-il exactement lorsqu’il parle de la « nation » ?
La « nation », ce peut-être un peuple ethno-identitaire qui s’est incarné politiquement (le peuple juif fondant l’Etat juif). Ce peut-être aussi un « corps d’associés» (Sieyès) composé d’individus venus de toute la terre et expérimentant le « vivre ensemble » grâce aux prétendues valeurs universelles qui organisent le fonctionnement de la société républicaine.
Si l’on considère la nation comme un corps viable d’associés de toutes origines, cultures et religions, on se doit de reconnaitre l’existence de principes universels. Ce sont ces principes, neutres et acceptables par tous par delà les identités profondes de chacun, qui permettent le « vivre-ensemble » de la « diversité ». Or le mondialisme se justifie précisément par l’existence de tels principes et argue avec raison que l’universalité ne peut par définition être limitée. Il s’agit simplement de la dilater à l’humanité entière et ainsi de composer une société globale. La nation-corps-d’associés apparaît ainsi comme une sorte de modèle réduit ou d’élément standard de base d’une future société planétaire. Considérer la nation comme un corps d’associés à la fois multiculturel et multiracial, revient donc à accepter le postulat de base du mondialisme. Comment dès lors le contester ?
Inversement, si l’on considère la nation comme un ensemble d’hommes participant de la même identité et de la même lignée, comment se dire républicain ? Car la véritable fracture se trouve ici, entre ceux qui considèrent la nation comme un corps d’associés dont l’appartenance est définie par une administration d’Etat et ceux qui considèrent que la nation est un peuple uni autour d’une commune identité ancestrale. Les premiers sont mondialistes, les seconds ne le sont pas. Les premiers sont républicains, les seconds ne le sont pas.
Que dit le Front National ? Ecoutons Marine Le Pen (Brachay, 3 septembre 2016) : « Notre position est sans ambiguïté : quelle que soit l'origine, la couleur de peau, l'orientation sexuelle ou la religion, nous ne reconnaissons qu'une seule communauté, la communauté nationale ». On ne peut être plus clair : la nation est un corps d’associés de toutes les origines. Conformément à la doxa républicaine, la nationalité est juridico-administrative et non identitaire. L’universalité des valeurs républicaines, c’est-à-dire leur capacité à faire cohabiter dans une même « communauté » des gens qui se différencient par leurs croyances, leurs mœurs, leurs visions de la vie et de la mort… est validée. Mais alors, puisque ces valeurs sont universelles : pourquoi leur mettre des frontières ?
En fait, la position du FN est plus compliquée que cela. Soit il reste dans le cadre républicain et se trouve alors dans l’obligation d’adhérer à la conception strictement juridico-administrative de l’appartenance (« quelle que soient l’origine, la religion…. ») . Soit il adhère à une conception identitaire de l’appartenance mais il sort du cadre républicain. Dans le premier cas, le FN accepte le postulat de base du mondialisme (les valeurs démocratiques et l’économie de marché permettent le vivre-ensemble global) et trahit sa base électorale. Dans le second cas, il reste fidèle à sa base électorale mais sera très probablement dissous. Nous avons en effet déjà fait remarquer que la République avait tout un arsenal législatif à sa disposition pour « prévenir les atteintes à la forme républicaine des institutions ». Remettre en cause le régime en place est formellement interdit par la loi dudit régime. Pourquoi selon vous, les belles âmes contestent-elles le caractère républicain du FN ?
Dit autrement, le FN, quoi qu’il proclame, ne peut pas être véritablement antimondialiste. Il n’en a tout simplement pas le droit. Il sait néanmoins jouer sur les ambigüités, rappelant les « racines chrétiennes » de la France et voulant protéger « l’identité nationale » tout en critiquant au nom des valeurs de la république l’expression « Français de souche » (MLP : « J’ai pas une passion pour cette expression, parce que moi j’ai une vision très imprégnée des valeurs de la République française, des valeurs de l’assimilation, c’est-à-dire que je pense que quand on devient Français, on devient Français »).
En conclusion, le clivage entre partisans de la nation identitaire et partisans de la mondialisation est une réalité. En acceptant les « valeurs de la république », le FN n’est pas du côté où il prétend être. Toutefois, il faut concéder qu’il lui est impossible de faire autrement. D’où ce soupçon d’antirépublicanisme chez les bien-pensants, ces espoirs chez les Français de souche et ces ambigüités révélatrices d’une pensée politique qui ne peut pas vraiment se déployer. Il faut laisser au FN le bénéfice du doute. Sans illusions.
Antonin Campana