Dans un article publié en octobre 2015, nous faisions remarquer que le « Système » paraissait paniqué par l’emballement des crises et la perspective d’un possible effondrement. Nous nous demandions cependant si la confusion et les contradictions qui agitaient alors le Système, et à quoi semblait se ramener le Système, n’indiquaient pas plutôt un possible changement de stratégie.
Entretemps, l’effondrement du Système a semblé s’accélérer sous l’effet du Brexit, du référendum italien, de l’élection de Trump et de la montée en puissance des mouvements « populistes ». Le désordre mondial est maintenant extrême et il est devenu très difficile de formuler une hypothèse qui rende compte et explique l’intégralité des situations contradictoires que nous pouvons observer.
Indubitablement, le « Système » entre dans une nouvelle période de son histoire. Ce sera, selon notre lecture, la cinquième et dernière.
La première période commence lorsque Jules Ferry propose à l’Industrie, la Banque et le Commerce de se servir du sang français pour ouvrir de nouveaux marchés aux produits capitalistes et aux idéaux républicains. L’entreprise coloniale signe la naissance du Système dans la mesure où le Système repose à la fois sur une puissance économique et financière héritée du capitalisme et sur une puissance idéologique et sociétale (la « démocratie », les « droits de l’homme », la « société ouverte »…) héritée de la République de 1789.
La seconde période commence en 1945 à l’issue d’une guerre mondiale qui a commencé en 1914. Cette guerre (unique et non pas double) verra les nations dominées par le capitalisme et organisées selon les principes républicains de la société ouverte, l’emporter sur les nations dominées par des élites traditionnelles et organisées selon des principes hérités des identités et des cultures. En 1945, le cœur du Système n’est plus en France mais dans le monde anglo-saxon.
Une troisième période s’ouvre à partir des années 1990. Les régimes communistes en Europe de l’Est se sont alors tous effondrés. Le Bloc de l’Est n’existe plus. L’URSS elle-même est dissoute (décembre 1991). Le néoconservateur américain Francis Fukuyama décrète la fin de l’Histoire au nom du consensus sur la démocratie libérale. Paul Wolfowitz énonce alors sa célèbre doctrine que l’on peut résumer ainsi : les valeurs du Système et la démocratie de marché, appuyées sur la puissance des Etats-Unis, doivent maintenant s’imposer au monde entier et engendrer un monde unifié sous une gouvernance globale. Autrement dit, le Système mondialiste est persuadé que rien ni personne ne pourra désormais arrêter son irrésistible expansion.
Le véritable choc surviendra en août 2008 : quatrième période. Depuis 1992, la Russie était sous la coupe des libéraux américains, c’est-à-dire du Système, et subissait une « thérapie de choc » sur fond de privatisations et de concentrations des richesses entre les mains de quelques uns. Entre 1990 et 1998, le PIB chute de 45% ! Vladimir Poutine arrive au pouvoir en 2000 et rompt immédiatement avec la « thérapie de choc ». Les médias occidentaux parlent alors de « néo-tsarisme ». Mais la véritable déconvenue surviendra lors de la guerre avec la Géorgie, un pays dont les forces militaires sont formées et armées par les Etats-Unis. Alors que la Russie avait fermé les yeux sur la destruction de la Yougoslavie en 1999, elle réagit vigoureusement à l’invasion de l’Ossétie en 2008. Non seulement la Russie résistera au dispositif de containment qui sera alors mis en place, mais, dans un second temps et sous l’impulsion de Vladimir Poutine, elle désarticulera le dispositif géopolitique du Système. En annexant la Crimée après le coup d’Etat en Ukraine, en bloquant par son intervention en Syrie le processus des révolutions de couleur au Moyen-Orient (« Printemps arabes »), la Russie va renvoyer la doctrine Wolfowitz dans les poubelles de l’Histoire.
La Russie s’est donc levée face au Système générant un vent d’espoir sur toute la planète. Entretemps, la Chine est devenue une puissance économique et militaire majeure avec laquelle il allait falloir compter. Si en 1990, le Système pouvait espérer une fin de l’Histoire à son profit, en 2017 les choses sont donc complètement différentes. C’est une grande désillusion pour l’Etat profond américain et pour l’oligarchie. Certains imaginent une guerre mondiale qui pourrait redonner la main au Système. « Malheureusement », Donald Trump et non Hillary Clinton, vient d’accéder à la présidence.
Ici nous abordons la cinquième et dernière période du Système. En 1990, tout semblait donc promis au Système. En 2015, il apparaissait nettement que la mondialisation et la « gouvernance globale » avaient subi un sérieux coup d’arrêt (principalement grâce à Vladimir Poutine). Aujourd’hui, nous assistons à une remise en cause et à un reflux du Système sur ses « propres terres » : l’Europe et le monde anglo-saxon.
Il faut bien comprendre que le Système est un parasitoïde. Un parasitoïde est un « organisme qui se développe sur ou à l’intérieur d’un autre organisme dit « hôte » mais qui tue inévitablement ce dernier au cours de ce développement ou à la fin de ce développement ». Les peuples et les nations constituent à l’évidence cet « organisme hôte ». Autrement dit, le Système ne peut exister que par les peuples. Soros, les membres du groupe de Bilderberg, les dirigeants de l’Etat profond américain… ne seraient rien sur une île déserte et passeraient sans doute leur temps à se cannibaliser. Les mêmes au milieu d’un peuple se comportent immédiatement comme des parasites entretenant des liens étroits et souvent solidaires. Or tout montre désormais que l’organisme hôte n’est plus aussi passif qu’il l’a été ces dernières années.
Nous assistons en effet à une sorte d’éloignement de plaques tectoniques. Une plaque « populiste » s’est maintenant détachée de la plaque mondialiste. Le Brexit, l’élection de Trump, les forts scores électoraux des mouvements antiSystème… montrent une prise de conscience et une certaine imperméabilité des populations aux discours des médias-Système. L’entreprise d’ingénierie sociale menée par le Système est clairement remise en cause à travers le refus des politiques d’immigration. La notion même de Système est devenue courante et se définie toujours d’un point de vue explicitement antiSystème. En d’autres terme, l’organisme hôte cherche à se détacher du parasitoïde qui le tue.
Devant ce mouvement tectonique, le Système parasitoïde a trois solutions. La première (et la plus probable ?) est le déclenchement d’une guerre, voire d’une guerre civile, qui brise net les reins de la plaque tectonique populiste. La seconde solution consiste au contraire à intégrer la plaque tectonique populiste en attendant des jours meilleurs. La dernière est de laisser faire les choses, de laisser se multiplier les Donald Trump, au risque de se trouver « isolé sur une île déserte », sans organisme hôte à parasiter.
Or nous observons que les élites-Système commencent à se partager entre la première et la seconde option (la troisième étant bien sûr exclue). L’immense majorité d’entre elles, appuyée sur les médias, les services de renseignements, les fondations, les lobbies, le progressisme sociétal… semble avoir opté pour une lutte dure quitte à risquer la guerre civile à l’intérieur et la guerre mondiale à l’extérieur (appel à la destitution ou à l’assassinat de Trump, menaces de soulèvement des banlieues si Marine Le Pen était élue, provocations envers la Russie ou la Chine…). Mais une minorité semble avoir d’ores et déjà déserté la plaque mondialiste et rejoint la plaque populiste. C’est le cas de Trump bien sûr, qui indubitablement provient du Système, mais aussi d’une grande partie de son entourage : Steven Mnuchin a passé 17 ans chez Goldman Sachs, Rex Tillerson est le PDG d’ExxonMobil, le Général Flynn était un ancien chef (nommé par Obama !) de la Defense Intelligence Agency (DIA)… C’est aussi le cas de personnalité comme Fillon, membre du Siècle qui a commis le crime de lorgner du côté de la Russie, regardée par beaucoup comme le cœur de l’antiSystème. C’est le cas au Royaume-Uni d’une Theresa May, très liée au milieu bancaire, qui devant Goldman Sachs s’affirmait contre le Brexit et qui maintenant se prononce pour un « Brexit dur ». C’est le cas en Allemagne de Sigmar Gabriel, Ministre fédéral des Affaires étrangères, qui critique la politique d’immigration de Merkel et appelle à lever les sanctions contre la Russie…
En fait, ces « transfuges » font aujourd’hui ce que les cadres du parti communiste soviétique ont fait hier dès l’amorce de l’effondrement du régime : ils se positionnent favorablement dans le monde qui arrive. Gorbatchev, fossoyeur du régime (le Trump Russe ?), était le Président du Soviet suprême de l’URSS ; Boris Eltsine, fossoyeur de la Russie, était membre du comité central du PCUS ; Tchernomyrdine était à la tête de Gazprom ; Alexandre Lebed était membre du PCUS et général de l’armée soviétique ; l’oligarque Anatoli Tchoubaïs, vice-président du Gouvernement de la Fédération de Russie, était un cadre du PCUS… Combien d’anciens dissidents et de rescapés du goulag parmi eux ? Aucun ! Le nouveau régime a été massivement investi par les cadres et les dirigeants de l’ancien système soviétique.
Il semblerait donc qu’une petite partie des élites-Système a fait, consciemment ou pas, le pari de l’effondrement du Système. Et l’autre partie, pour le moment majoritaire, lui a déclaré une guerre sans merci.
Nous assistons donc à un désordre sans précédent que nous nommons « Grand Désordre Global ». Celui-ci se situe à quatre niveaux :
Le Système combat avec acharnement le printemps des peuples. Il est clairement entré dans une logique de guerre civile avec mobilisation des masses non blanches (en France les Banlieues, aux Etats-Unis les Latinos et les Noirs), mobilisation des classes urbaines possédantes (l’extrême gauche, la gauche morale), mobilisation des mouvements sociétaux (LGBT, féministes…) et bien sûr mobilisation des médias.
Le Système alimente un dangereux désordre géopolitique (Ukraine, Syrie, mer de Chine…) avec l’espoir de contrarier l’influence des nations positionnées hors Système (notamment la Russie)
Le Système mène une guerre interne pour contrer ceux des siens qui s’en écartent, par stratégie ou par conviction, et passent du côté des peuples. Il règne probablement un climat de guerre civile au sein même des cercles les plus influents.
Le camp antiSystème est quant à lui parasité par les transfuges venus du Système. Il perd de sa cohérence interne. Par exemple, Trump est accusé de s’entourer de milliardaires, ce qui est vrai. Mais le plus grave est que ceux-ci n’ont absolument pas abandonné leurs préjugés d’autrefois. Leur manière de penser est restée celle des cercles influents du Système. Leur discours sur la Russie, par exemple, reproduit la narrative-Système habituelle ce qui rend illisible la politique étrangère de Trump et fragilise, voire remet en question, son positionnement antiSystème.
En résumé de tout ce qui précède, selon nous :
Le Système pensait au début des années 1990 avoir remporté la partie
Le réveil de la Russie et son retour sur la scène géopolitique marque un premier coup d’arrêt (d’où cette hostilité viscérale envers la Russie, pays clivant Système et antiSystème)
Le printemps des peuples (référendum grec, Brexit, élection de Trump, montée du « populisme »…) entame une phase de repli du Système. Celui-ci est partiellement délégitimé sur ses « terres historiques ».
Aujourd’hui, c’est le Système lui-même qui semble se fractionner : faut-il continuer à dissoudre les peuples au risque de manquer le train de l’histoire, ou faut-il feindre de s’adapter aux nouvelles donnes ?
C’est la résistance d’un Système fossilisé qui est cause du chaos que nous observons aujourd’hui et qui va en s’amplifiant. Le Grand Désordre Global est le fait d’un Système dinosaurien qui refuse de s’adapter en se soumettant aux peuples, préférant engendrer dislocation sociale et destruction de la planète plutôt que d’abandonner son projet malsain de domination mondiale.
Antonin Campana