Voici revenu le temps des élections et des couplets convenus sur « notre démocratie ». Selon les uns ou les autres, elle sera au choix : « avancée », menacée », « française », « repensée », « libérale », « sociale », voire « malade ». Mais soyons impertinents et posons cette question, certes déplacée et un peu chagrine : vivons-nous réellement dans une « démocratie » ?
Entendons-nous sur les mots : la « démocratie », c’est le pouvoir du peuple. D’où cette règle : un régime politique sera dit démocratique si le peuple a le droit de le contester, voire d’en sortir. Dans le cas contraire, il nous faudra convenir que ledit régime est de nature totalitaire. Prenons l’exemple du régime soviétique. La population ne pouvait ni le remettre en cause, ni en changer. Le fait qu’il existât un processus électoral et de réelles consultations populaires ne change rien à son caractère indubitablement totalitaire, puisqu’au final la population n’avait le choix qu’entre des apparatchiks se réclamant du régime en place (comme nos politiciens se réclament de la République !).
Par définition, un régime qui se soustrait à la volonté du peuple n’est donc pas un régime démocratique. Ceci étant posé, rappelons que nous vivons sous un régime républicain construit selon les idéaux de 1789, régime qui s’est historiquement imposé par la violence. Ce régime accepte-t-il aujourd’hui que le peuple le remette en cause, voire s’en émancipe, ou bien estime-t-il qu’il se situe au-dessus de la volonté du peuple, comme une sorte de transcendance aussi absolue qu’incontestable ? Autrement dit, la République pourrait-elle passer sous les fourches caudines de la démocratie ?
La réponse à ces questions se trouve dans les textes républicains eux-mêmes :
La Constitution énonce en son article 89 que : « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision ». Le Code pénal (article 410-1) semble apporter une explication pleine d’hypocrisie et d’arrogance : « la forme républicaine [des] institutions » ferait partie des… « Intérêts fondamentaux de la nation », ce qui revient à dire que la tyrannie a été décrétée dans l’intérêt du peuple tyrannisé !
La contestation du régime en place est donc formellement interdite par la loi et il n’existe aucune voie démocratique ou légale pour remplacer ce régime par un autre système de gouvernement. Le peuple ne pourra donc remettre en cause la limitation de son droit à disposer de lui-même sans sortir de la légalité républicaine et engager un rapport de force quasi révolutionnaire avec le régime. Or les lois républicaines énoncent par avance que toute violence collective de nature à mettre « en péril les institutions de la république » constitue un « mouvement insurrectionnel » (Code pénal article 412-3). Les « insurgés » (sic !) risquent entre 15 ans de prison et la perpétuité (articles 412-4 à 6). Donc, en résumé, le peuple peut penser ce qu’il veut du totalitarisme républicain, mais qu’il ne cherche surtout pas à s’en libérer !
Et quand je dis « penser », je pèse mes mots. La loi relative au renseignement et à la prévention du terrorisme (loi 2015-912 article L-811-3) règle notamment la « prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ». Cette loi républicaine autorise l’intervention de la police politique, pardon : des « services spécialisés de renseignement », si ceux-ci subodorent que vous pourriez, peut-être, un jour, éventuellement, possiblement, porter atteinte à la forme républicaine des institutions ! Au nom de la « prévention », pour peu que vous ayez de mauvaises fréquentations ou de mauvaises lectures, la police politique, pardon : les « services spécialisés de renseignement », ont ainsi le droit d’intercepter votre correspondance, d’installer un micro dans votre cuisine ou une caméra dans votre chambre à coucher, de placer une balise sous votre voiture, de pirater votre ordinateur, bref de vous fliquer 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 !
Alors je pose la question : en quoi le régime républicain est-il différent du régime soviétique ? En quoi est-il moins totalitaire ? Bien sûr, il y a le Goulag ! Mais l’arsenal législatif républicain contient en lui-même la possibilité du Goulag. Le principe de l’enfermement des opposants étant acquis, c’est le nombre « d’insurgés » emprisonnés qui conditionnera l’existence d’un système concentrationnaire en France.
Nous vivons donc sous la coupe d’un régime totalitaire. Celui-ci est bien plus performant que le régime soviétique car sa nature totalitaire n’apparaît pas clairement, voire est même, pour la plupart des gens, impensable. Cependant des élections arrivent. Que se passera-t-il si Marine Le Pen les remporte ? Les lois républicaines dont nous avons parlé sont suffisamment floues (qu’est-ce que la « forme républicaine des institutions » ? que veut dire « mettre en péril » ?) pour justifier toutes les interprétations, toutes les répressions et toutes les actions de l’Etat profond, y compris contre le président élu. Il ne faut jamais oublier, cela en dit long, que la République n’a renié ni Robespierre, ni le génocide vendéen !
Antonin Campana