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La République issue de 1789 est un régime politique qui prétend à l’universel. Puisque l’universel exclu le spécifique et que le spécifique ne saurait être universel, ce régime est étranger à la spécificité de la France et des Français et ne peut par conséquent, comme l’ont bien vu des révolutionnaires comme Cloots, se dire « français » (cf. Synthèse autochtone 2).
Nous avons vu que l’universalité du régime républicain était dans la nature de celui-ci, puisque ses principes et ses fondements s’enracinaient dans la théorie du contrat, une théorie qui ne fait aucune distinction entre les hommes et ne prend pas en compte leurs particularités religieuses, culturelles ou généalogiques (cf. Synthèse autochtone 1). Cette universalité n’est donc pas une lubie d’un moment ou un accident mais une caractéristique essentielle du régime. C’est avec persévérance que celui-ci va chercher à l’imposer dès que les circonstances historiques lui en donneront l’occasion. En un peu plus de deux siècles, l’universalité républicaine va tenter de s’imposer à travers trois grandes périodes d’expansion. La première période coïncide avec la période révolutionnaire. La seconde va de 1875 environ à 1940. La troisième, qui n’est pas terminée, commence dans les années 1960.
La « Révolution » va mettre en œuvre le principe d’universalité de la République. Le premier acte sera l’intégration des Juifs à la nation « française ». Le principe de cette intégration est exposé par Clermont-Tonnerre en décembre 1789 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’Etat ni un corps politique ni un ordre. Il faut qu’ils soient individuellement citoyens ». C’est la théorie de contrat dans toute sa splendeur : l’association est une affaire individuelle car il ne peut y avoir dans le « corps d’associés » des associations partielles ayant potentiellement une volonté particulière susceptible de s‘imposer à la volonté générale. Que ces individus aient une religion, des coutumes, une culture, une lignée qui diffèrent en tout de la nation multiséculaire à laquelle on veut les agréger n’a aucune importance car la République ne veut voir dans cette nation qu’un corps politique et un agrégat sans identité collective (Cloots : il faut avoir « le bon sens de reconnaître qu’un corps politique, que le souverain, n’a pas de religion, quoique les membres du souverain puissent en avoir une individuellement »[1]).
L’association des Juifs à la société civile artificiellement déracinée est rapide : ainsi les Juifs de Paris et autres « Bordelais » ou « Avignonnais » deviennent individuellement « citoyens » le 28 janvier 1790, les Juifs des enclaves pontificales rattachées à la France sont individuellement citoyens le 10 juin 1791, les Juifs d’Alsace et de Lorraine le deviennent à leur tour le 27 septembre 1791. Aucune voix ne se fait alors entendre parmi les républicains pour dénoncer cette universalité en action. Tous adhèrent à une doctrine qui écarte les identités et nient les peuples réels, à commencer par le peuple français réduit à un creuset ou un réceptacle neutre devant recevoir les étrangers qui le demandent.
Le second acte de cet universalisme en action prendra la forme d’une exportation du modèle républicain. Exportation par la violence, il va sans dire. Le 20 avril 1792, la Législative déclare la guerre à l’Autriche. C’est le début d’une longue série de guerres menées contre l’Europe entière jusqu’en 1815. La guerre républicaine prendra avant tout la forme d’une guerre de propagande. On prétend vouloir abatte des tyrans et apporter la liberté. Les territoires conquis deviennent des « républiques sœurs ». On en proclame une trentaine plus ou moins éphémère et dépendante (république de Mayence, république rauracienne, république batave, république romaine, république cisalpine...). Puis on « départementalise » ces territoires et on les intègre à la « république mère ». Sur tous ces territoires les principes de la République s’imposent : le Droit réduit ces populations à de simples agrégats humains sans identité collective. Celles-ci ne sont plus « peuples », mais entassements d’individus ayant passé contrat, simples accumulations de « citoyens » soumis à un régime politique ignorant des appartenances réelles. Partout, les corps intermédiaires protecteurs sont abolis et l’individu amoindri par la citoyenneté se retrouve seul face au pouvoir d’Etat.
Les révolutionnaires ne s’en cachent pas : l’organisation en département est le moyen de l’universel. Cloots veut un « monde organisé départementalement »[2] . Le département est le moyen du « système planétaire » pour « niveler » les nations (Cloots : « le damier départemental va niveler la terre »[3]). Aussi, la République envahit puis « départementalise » à tout va : en 1790, la France compte 83 départements, en 1811 on en dénombre 130 qui s’étendent du sud de Rome et de Barcelone jusqu’au Danemark… Par le traité de Campo-Formio (1797), la République va même jusqu’à créer trois départements… en Grèce (Corcyre, Ithaque et Mer Egée) !
Répétons-le : cette mise en œuvre républicaine des principes universalistes de la philosophie des Lumières n’est ni le fruit du hasard, ni le fait des décisions arbitraires de quelques hommes. Cela procède de la mécanique d’un système républicain qui s’articule tout entier autour de cette philosophie. C’est l’universel qui constitue les fondations, les poutres et les murs porteurs de l’édifice républicain. La francité n’en est que les peintures et les tapisseries. Même la science est alors mobilisée au service de l’universel. Est-ce un hasard si les scientifiques à l’origine du projet de système métrique se flattent, dans un rapport très républicain à l’Académie des Sciences (19 mars 1791), d’un « système n'appartenant exclusivement à aucune nation » ? Condorcet, l’un des signataires, précisera le 26 mars qu’il est important pour la fraternité des peuples « de choisir un système qui puisse convenir à tous les peuples » (discours Salle du Manège). D’une nécessité pratique (simplifier le système de poids et mesures de la nation), on était passé à une ambition planétaire : faciliter une sorte de mondialisme grâce à l’adoption par toutes les nations d’un étalon universel !
Après cette période révolutionnaire (et impériale !) qui voit l’application et l’expansion de l’universalité républicaine par l’utilisation d’un peuple français réduit à l’état de simple outil du mondialisme, une parenthèse de plusieurs décennies va s’ouvrir. Elle se refermera, si l’on excepte les quelques mois de la IIe république, avec l’installation de la IIIe république. La nature universaloïde du régime se réaffirmera alors à travers l’entreprise coloniale.
A suivre
Antonin Campana