Ainsi, selon Manuel Valls, l’islam serait « une part de notre identité » ! (Bourdin direct, 09 décembre 2016)
Admettons. Mais de quelle identité s’agit-il ? Le mot aurait pour le moins mérité d’être précisé. Cela n’a pas été fait, ce qui pourrait dénoter un certain flou conceptuel, voire peut-être une volonté politicienne de tromper.
Cependant, Valls étant un républicain orthodoxe, il paraît évident que l’identité en question ne peut être dans son esprit que l’identité qui fait la « France » et la République, une identité non discriminante et commune à tous les « Français » (« notre identité » !), c’est-à-dire, pour parler religion comme Valls, une identité commune aux chrétiens, aux musulmans, aux juifs, aux animistes, aux hindouistes, aux bouddhistes, aux taoïstes, aux rastafariens, aux shintoïstes, aux sikhs, aux zoroastriens, aux candomblés, aux adeptes du culte vaudou… qui composent harmonieusement le peuple « français » selon la République. Et cette identité universelle qui, par delà la diversité colorée, est celle de l’Homme (avec une majuscule, s’il vous plaît), prend corps à travers les valeurs et les principes universels d’une République compatible avec tous les hommes et toutes les religions.
Fort bien, mais faut-il rappeler ici que, si le modèle identitaire républicain est universel (selon sa mythologie) et en capacité de faire « vivre ensemble » des hommes de toutes les origines, l’islam est pour sa part spécifique aux seuls musulmans ? Or le spécifique (« qui appartient en propre à une chose » dit le Larousse) est incompatible avec l’universel (« qui embrasse la totalité des choses », dit la même source). Par définition, ce qui singularise, comme la religion musulmane, ne peut être commun à tous. Et inversement, ce qui est commun, la bipédie par exemple ou les droits de l’homme selon la République, ne peut caractériser un groupe en particulier. Rien ne peut donc relever à la fois du spécifique et de l’universel, et l’islam, sauf à verser dans l’absurde, ne peut appartenir à une « identité » qui serait partagée par l’ensemble du peuple « français », juifs, chrétiens, polythéistes et hindouistes compris. Autrement dit, pour un républicain cohérent : l’islam ne peut pas être une part de « notre identité » commune.
Allons un peu plus loin car la « pensée » de Valls se laisse d’autant mieux deviner qu’elle procède d’un conditionnement que nous avons tous reçu. De manière pavlovienne, nous viennent immédiatement à l’esprit les chiffres (prétendument) « arabes », le zéro, l’algèbre ou la transmission du savoir grec. Fort bien, admettons, bien que cela relève en grande partie du mythe, mais où est l’Islam en cette affaire ? Si le zéro (inventé d’ailleurs par le mathématicien indien Brahmagupta) relève de l’Islam, dira-t-on que la vaccination ou le moteur à explosion relèvent du christianisme ? Sans doute pas. Donc, quels sont les éléments faisant islam qui ont été introduits dans l’identité partagée par l’ensemble de la « diversité française » ? La charia ? Le jihad ? La chahada ? Le jeûne du Ramadan ? Les cinq prières rituelles ? On serait bien en peine de trouver quoi que ce soit, si ce n’est quelques mots (abricot, baobab, sucre, méchoui…), ou quelques plats (le couscous) qui ont avec l’Islam le même rapport que le pantalon ou le tonneau avec le culte de Toutatis.
En fait, les valeurs de la République sont tellement étrangères aux identités réelles que le républicain Valls se met dans une situation intellectuelle inextricable dès lors qu’il veut aborder la question identitaire. Soit Valls reconnaît la diversité identitaire de la société multiculturelle « française », mais alors sa référence à une identité commune (« notre identité ») n’a aucun sens. Soit, ignorant comme une autruche cette diversité identitaire, Valls ne veut voir que les valeurs communes, mais alors son affirmation selon laquelle l’islam est une part de ces valeurs relève de l’absurde. Soit enfin, ignorant la diversité et l’universalité, Valls s’inscrit dans un « spécifique » (l’islam en l’occurrence) qui exclut ceux qui ne sont pas musulmans (hormis les musulmans, qui peut faire de l’islam une part de son identité ?), mais alors sa profession de foi républicaine est une galéjade.
Au-delà de Valls, c’est toute la République qui montre son naufrage intellectuel. Les républicains ne peuvent plus rendre compte des faits. Le cadre idéologique dans lequel ils se situent n’est plus adapté au monde qu’ils ont pourtant engendré. Contraints de refuser un réel inexplicable selon le dogme, les républicains « inventent », tel Valls, une narrative qui les rassure mais qui relève d’une altération de la perception des réalités : une narrative schizophrénique dont ils sont les seuls à ne pas percevoir l’absurdité.
Par delà la déclaration de Valls que nous avons ici soulignée, nous voulons signifier que l’hégémonie intellectuelle des républicains est terminée (je parle des républicains dans leur ensemble, quels que soient leurs partis, de l’extrême droite à l’extrême gauche). La République ne peut aujourd’hui répondre aux réalités sans les travestir ou les nier. L’historien dira que le régime arrive à son terme.
Antonin Campana