Les républicains citent souvent Ernest Renan sans souvent avoir lu une ligne de cet historien et linguiste qui souligna, on l’oublie, la dimension ethnique des religions et leur importance comme facteur d’unité des sociétés humaines. De l’œuvre magistrale de Renan, les républicains n’ont retenu que deux mots : « vivre ensemble ». Pour le républicain, ces deux mots qui bornent son esprit étroit résument à eux seuls la « nation » (Alain Juppé : « …la plus belle définition de ce qu’est une nation, de ce qu’est une patrie, c’est celle qu’Ernest Renan a donné au 19e siècle : le lieu du vivre ensemble… » ). On sait que la fonction de ces deux mots, continuellement psalmodiés par politiciens et journalistes, est aujourd’hui de justifier le modèle multiculturel et multiracial de la société engendrée par l’entreprise républicaine d’ingénierie sociale. Il s’agit rien moins que d’une trahison de la pensée de Renan. Justifier l’intégration de millions d’immigrés africains par un texte (Qu’est-ce qu’une nation ?, conférence à la Sorbonne 1882) qui entendait contester l’annexion de l’Alsace-Lorraine, est une pure escroquerie intellectuelle.
Dans ce court texte qui, au passage, ne remet pas en question la « diversité des races » (quand on prend, il faut tout prendre), Renan ne parle pas de « vivre ensemble » mais de « désir de vivre ensemble », ce qui n’est pas la même chose. Or ce désir de vivre ensemble n’est que l’un des deux éléments qui constituent l’âme de la nation selon Renan, l’autre étant, les républicains l’oublient toujours !, « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ». Ce « riche legs de souvenir » a dans le texte une sorte de primauté puisqu’il vient avant le « désir de vivre ensemble », et que ce désir lui-même est lié à « la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». C’est pourquoi explique Renan « le culte des ancêtres est de tous le plus légitime [car] les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes», et d’évoquer comme hymne de la Patrie le chant spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes ».
Qu’est-ce qu’une nation ? pose donc plus de problèmes aux républicains d’aujourd’hui qu’il ne leur donne de solutions.
Qui éprouve en effet ce désir de vivre avec des gens qui n’ont ni les mêmes mœurs, ni les mêmes valeurs que soi ? Les Français de souche seraient « racistes » selon les républicains. En atteste les clips télévisés, les lois, les ligues, la « mixité » qu’ils imposent aux Autochtones. Fort bien, nous entendons ce discours avilissant, mais sa contrepartie est que ce « désir de vivre ensemble » n’existe pas et que donc la société métissée ne fait pas nation. Et ce n’est guère mieux du côté des Allochtones. Ceux-ci cultivent un entre-soi exclusif forçant à l’exil les Français d’identité. Ils se regroupent en communautés et forment des sociétés parallèles sur des bases ethniques et religieuses. Les frontières extérieures abolies par les républicains se sont reconstituées à l’intérieur du territoire et marque un refus de vivre ensemble qui annonce la guerre civile.
Et puis, puisque le texte de Renan est une référence pour les républicains, que ceux-ci nous décrivent les « souvenirs » que nous partageons en commun avec les Français de préfecture, hier encore Ethiopiens, Sénégalais ou Algériens : la construction des Cathédrales, la Guerre de Cent ans, la révolution industrielle ? Les souvenirs qui pourraient nous être communs nous opposent plus qu’ils ne nous rassemblent (Poitiers, Les Croisades, la colonisation, les raids barbaresques esclavagistes…). Quel « héritage » avons-nous « reçu en indivis » avec les immigrés : le droit romain, le christianisme, le roman courtois ? De quels « ancêtres » communs pouvons-nous faire le culte : Vercingétorix, Saint Louis, Jeanne d’Arc, Louis XIV ? Et quant au beau chant spartiate (« Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes ») n’est-il pas présomptueux de croire qu’il sera selon le vœu de Renan un « hymne abrégé de toute patrie » ? Quant on a ni les mêmes souvenirs, ni le même héritage, ni la même lignée, ce chant sépare et divise plus qu’il ne rassemble.
On le voit, tout dans le texte de Renan va à l’encontre de l’utilisation qui en est faite par les républicains. Ce texte annonce clairement l’échec des politiques d’intégration qui seront menées au siècle suivant. En mettant l’accent sur les souvenirs communs, l’héritage commun, les ancêtres communs, la volonté d’être ce que furent ceux-ci, la volonté de poursuive leur œuvre, Renan signifie que l’identité commune est le fondement du « désir de vivre ensemble ».
Des populations qui n’ont ni les mêmes souvenirs, ni la même culture, ni la même lignée, forment des peuples différents qui se sépareront comme l’huile et l’eau si on tente de les mélanger. C’est ce que dit en substance Renan et c’est ce que nous prouve l’Histoire comme l’actualité. D’où subséquemment la nécessité républicaine de gommer les mémoires, d’effacer les lignées, de tuer les cultures afin de substituer une mémoire commune fabriquée, une lignée commune métissée, une sous-culture marchande universelle. Le «vivre ensemble » républicain ne fonde pas la nation : il la détruit.
Antonin Campana