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Terre Autochtone

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Le blog des aborigènes d'Europe, par Antonin Campana


Ponérologie (7). Les Dix Commandements : "distingue et discrimine !"

Publié par Antonin Campana sur 8 Décembre 2015, 15:05pm

Catégories : #PONEROLOGIE

Ponérologie (7). Les Dix Commandements : "distingue et discrimine !"

[Les « Dix Commandements » sont des instructions qui posent des distinctions et des discriminations élémentaires. Leur objectif est de perpétuer un monde structuré réfractaire à la confusion maléfique].

NB : vous trouverez nos autres textes « ponérologie » dans la catégorie « Ponérologie » de ce blog. Il est recommandé de les lire dans l’ordre de parution.]

     Le Décalogue peut s’énoncer ainsi (en suivant le classement de l’Eglise catholique) :

  1. Tu distingueras le vrai Dieu que tu aimeras, des faux dieux devant lesquels tu ne te prosterneras pas (Ex 20.6)

  2. Tu distingueras le nom de Dieu que tu ne prononceras pas sans fondement (Ex 20.7)

  3. Tu distingueras le jour du Sabbat pour le sanctifier (Ex 20.8)

  4. Tu distingueras ton père et ta mère que tu honoreras (Ex 20.12)

  5. Tu distingueras celui que tu peux tuer de celui que tu ne dois pas tuer (Ex 20.13)

  6. Tu distingueras la femme de ton prochain, avec qui tu n’auras pas de rapport sexuel (Ex 20.14)

  7. Tu distingueras le bien de ton prochain, que tu ne voleras pas (Ex 20.15)

  8. Tu distingueras la vérité du mensonge (en ne témoignant pas mensongèrement contre ton prochain) (Ex 20.16)

  9. Tu distingueras le désir licite pour les biens du lointain du désir illicite pour les biens du prochain (Ex 20.17)

  10. Tu distingueras le désir licite pour la femme du lointain du désir illicite pour la femme du prochain (Ex 20.17)

 

 

    Les quatre premiers commandements tels qu’exposés ici ne soulèvent sans doute pas trop d’interrogations chez le lecteur, au contraire des six commandements qui suivent. Nous sommes en effet habitués à une lecture inexacte, presque falsifiée par nos apriorismes, du Décalogue.

     Il convient dans un premier temps de tordre le cou à cette idée erronée qui voudrait que le « prochain » soit « tout homme ou l’ensemble des hommes » (Cf. Le Larousse qui reproduit en cela la lecture chrétienne, oubliant au passage le point de vue de nombreuses sources juives). Le prochain est ici le « proche », c’est à dire l’Israélite à l’exclusion de tout autre (le « texte scripturaire exige cette interprétation» affirme Abraham Cohen -A. Cohen, Le Talmud, Paris, Payot 1986). Spinoza, déjà, avait expliqué que dans la Bible « Prochain » signifie « Concitoyen », ce qui résolvait bien des contradictions apparentes (Tractatus).

     Dans la Bible traduction Chouraqui, le mot « prochain » est d’ailleurs systématiquement traduit par « compagnon ». Ce n’est pas la démarche de la Bible traduction Osty qui entretient la confusion mais qui rappelle quand même en note que « Prochain » (‘âmit) signifie littéralement  « de même peuple, congénère, compatriote », et que le terme ‘amit est synonyme de ré’a que l’on traduit également par « prochain » et qui signifie « compagnon, ami » (Commentaire de Lev 5.21). Ainsi, si les mots ont un sens, l’ami ne peut être qu’un compatriote. La sémantique est ici fidèle à une logique de discrimination et de séparation.

     Cette discrimination affirmée (il faut aimer son prochain comme soi-même ...mais pas l’étranger, surtout s’il est cananéen) sera systématiquement refoulée par la tradition chrétienne qui pourtant n’ignore pas son existence. Pour donner au mot « prochain » un sens exactement contraire (le prochain n’est plus seulement  le proche, c’est aussi le lointain), l’Eglise va s’appuyer sur quelques versets des Evangiles dans lesquels Jésus prescrit d’aimer « comme soi-même » non seulement son prochain ou son « frère » mais aussi ses « ennemis » (Mat 5.43s.).

     Une question se pose : en quoi Jésus dit-il ici que le « lointain » est soudainement devenu un « prochain » ? Il renforce au contraire la distinction car il affirme que le prochain est un « frère » (Mat 5.47), homme de même filiation, par opposition à l’« ennemi » qui est donc, faute d’être un « frère », un étranger, c’est à dire un lointain d’une autre filiation. Le fait qu’il faille aimer aussi cet ennemi étranger (« même » cet ennemi étranger !), n’empêche nullement de le distinguer des compatriotes, n’interdit pas non plus de le combattre : « qui aime bien châtie bien ». L’Eglise s’en souviendra au cours des siècles et tuera, brûlera, torturera des lointains pour leur bien, par amour, tout en se pensant fidèle à la doctrine du Christ et aux anciennes écritures que celui-ci prétend accomplir.

 

     Ceci étant dit  reprenons notre décalogue au sixième commandement, nous parlerons un peu plus loin du cinquième.

     Le sixième commandement prescrit « tu ne commettras pas d’adultère », ce qui peut en effet s’énoncer ainsi : « tu distingueras la femme de ton prochain... ».

     Il faut se référer notamment à Lev. 18.20 : « tu n’auras pas commerce avec la femme de ton prochain ». Ce verset est considéré comme une interdiction renouvelée de l’adultère. On notera que l’adultère est ici interdit « avec la femme de son prochain », sous peine de mort  (Lev20.10 ; Dt 22.22). Mais l’Israélite a-t-il pour autant le droit de tromper son épouse avec une femme qui n’appartient pas à un autre Israélite ? Et s’il le fait, parle-t-on encore d’adultère ?

     Lev. 19.20 nous apprend que l’Israélite peut « faire commerce » avec une femme non mariée et non fiancée, une esclave par exemple. C’est uniquement dans le cas où celle-ci aurait le statut de « concubine », ou servante, d’un autre Israélite qu’il devra faire un sacrifice (un bélier) pour ce qui serait alors, mais alors seulement, considéré comme un péché. L’homme peut même violer une femme vierge non fiancée, à peine d’indemniser le père et de l’épouser ensuite (Dt 22.28), une chose possible même s’il est déjà marié puisque la polygamie existe.  

     Dans tous ces cas, dès lors que la femme n’est ni mariée, ni fiancée à un prochain, il n’y a pas adultère, donc pas de mise à mort des coupables. Il n’y a adultère et mise à mort que si l’on prend la femme d’un prochain : « celui qui commet l’adultère avec la femme de son prochain sera mis à mort, lui, l’adultère, et la femme adultère » (Lev 20.10). L’injonction de ne pas commettre l’adultère souligne donc la nécessité, pour l’époux, de distinguer d’une part la femme qui appartient au prochain, avec qui il est illicite d’avoir un contact sexuel sous peine d’être désigné « adultère » ; d’autre part la femme statutairement « libre », avec qui un rapport sexuel, par la violence s’il le faut, sera considéré comme non adultère et licite. L’adultère n’est donc pas compris, comme nous l’entendons aujourd’hui, comme « la violation du devoir de fidélité entre les époux » (Larousse). L’adultère est, dans le contexte du Décalogue, et c’est tromperie de l’expliquer autrement,  l’acte de prendre l’épouse de son prochain, que l’on soit soi-même marié ou pas d’ailleurs. L’acte n’est pas jugé du point de vue de l’éventuelle épouse trompée mais du point de vue du mâle israélite cocufié. Ce n’est jamais l’épouse que l’on trompe par l’acte adultérin, tant elle compte peu dans un monde où règne la polygamie, mais le mâle israélite. Notre conception de l’adultère comme « violation du devoir de fidélité entre les époux » ne fonctionne dans la Bible que du point de vue de l’épouse. Celle-ci sera considérée comme adultère dès lors qu’elle trompera son mari avec un autre homme, quel que soit cet homme.

     Dans la Bible la femme est un « bien » de son époux (Nb 5.19), elle lui « appartient » au même titre que son âne, son bœuf ou sa maison (Ex 20.17). C’est pourquoi l’adultère ne peut se juger que du point de vue de l’homme spolié de son bien, jamais de la femme. A moins de considérer, ce que le contexte interdit, que le sixième commandement s’applique à la femme seule, nous pouvons affirmer que l’adultère n’est pas une violation de fidélité entre époux mais un péché d’indistinction, un crime qui consiste à ignorer la différence entre la femme sexuellement licite et la femme sexuellement illicite.  On ne doit pas commettre ce crime, c’est le sixième commandement.

 

     Le septième commandement (« tu ne voleras pas » Ex 20.15), ressemble au sixième en ce qu’il commande lui-aussi de distinguer le bien qui appartient au prochain, même s’il ne s’agit plus ici de sa ou ses épouse(s) mais de ses biens matériels.

     Ce commandement suppose la capacité de connaître tout ce qui m’appartient, d’une part ; tout ce qui appartient à mon prochain d’autre part ...et tout qui appartient enfin au lointain.

     « Emprunter » le bien du prochain, c’est voler et s’exposer à une sanction qui peut aller d’une amende, à la mise en esclave (Ex 22.37s), voire à la peine de mort (Ex 21.16).

     S’accaparer ce qui appartient au lointain est différent. Dans le Lévitique Dieu ordonne aux fils d’Israël de ne pas voler, mentir, se tromper « les uns les autres » (Lev 19.11). La Bible Chouraqui traduit l’expression « les uns les autres » par « l’homme à son concitoyen », ce qui change tout car ce verset signifie alors qu’il est interdit non pas de voler quelqu’un en général mais de voler un « concitoyen » ! La Bible Osty précise ainsi que la traduction littérale de cette expression serait « chacun envers quelqu’un de son peuple ». Littéralement, il ne faut pas voler ceux de son peuple, ni leur mentir, ni les tromper ! Pour les autres...

    Pour le lointain c’est en effet différent, non sans une certaine pudeur, parfois. Ainsi le peuple élu ne vole pas aux Egyptiens « des objets d’argent et des objets d’or » (Ex 11.2), il les « emprunte » (Chouraqui). Les rendra-t-il ?  Pour les Cananéens haïs, c’est encore différent. On vole leurs villes, leur bétail, leurs oliviers, leurs vignes (Jos 24.13) sans aucun scrupule, et non sans une certaine fierté. De fait, il est prescrit de ne pas agrandir son domaine au détriment de son prochain (Dt 19.14), pas de son lointain.

     En résumé, il est écrit « tu ne voleras pas», ce qui veut dire surtout « tu ne voleras pas quelqu’un de ton peuple ». Formulé d’une autre manière, cela peut s’énoncer ainsi : « Tu distingueras ce qui appartient à ton prochain et tu n’y toucheras pas ».

 

     Le huitième commandement (« Tu ne déposeras pas contre ton prochain en témoin mensonger » Ex 20.16) prescrit de ne pas témoigner mensongèrement contre son prochain (son « compagnon » selon Chouraqui). Il faut donc distinguer la vérité du mensonge, ne pas mentir, surtout contre un prochain sur la sellette (un « frère » selon Dt 19.19). On a déjà vu plus haut (Lev 19.11) qu’il était interdit de mentir à quelqu’un de son peuple. Le huitième commandement pose cette interdiction dans un contexte particulier, celui d’un tribunal.   

 

     Les neuvième et dixième commandements prescrivent de ne pas éprouver de « désir » pour les biens du prochain, que cela soit son épouse (ou ses épouses) dans le neuvième commandement,  ou ses biens matériels, dans le dixième : « Tu ne convoiteras [....] rien de ce qui est à ton prochain » (Lev 20.17). Il faut donc distinguer les désirs licites (pour les choses qui n’appartiennent pas à un lointain) et les désirs illicites (pour les choses qui appartiennent à son prochain). Ce n’est pas seulement la praxis qu’il s’agit ici de normer, mais aussi la conscience, conscience torturée qui doit faire la différence entre une convoitise condamnable, celle  qui fait porter atteinte aux biens du prochain, et une convoitise légitime si ce n’est louable, celle qui fait envahir la terre du lointain (une terre qui ruisselle de lait et de miel) ou posséder sa femme par la violence. Distinctions, vous avez dit distinctions ?

 

     Il nous faut maintenant revenir au cinquième commandement, le fameux « tu ne tueras point ». Ce commandement fait l’objet de la même lecture falsificatrice que les commandements relatifs au « prochain ». En effet ce verset n’interdit pas l’homicide volontaire comme on l’entend trop souvent : il interdit seulement « d’assassiner ». La Bible Chouraqui, plus littérale traduit d’ailleurs ainsi : « Tu n’assassineras pas ». Quelle est la différence dans le contexte biblique entre « tuer » et « assassiner ». Cette différence est fondamentale car elle impose une distinction entre les hommes qu’il est licite de tuer et ceux qu’il est illicite de tuer et pour lesquels seulement on parlera de meurtre ou d’assassinat. Parmi les êtres humains qu’il est licite de tuer dans la Bible, citons pêle-mêle celui qui commet un adultère, l’homosexuel, celui qui couche avec une bête, celui qui appartient à l’une des nations cananéennes comme les Hittites ou les Amorréhéens, ceux qui composent un couple mixte (Cf. Esdras), etc. Mettre à mort l’une de ces personnes condamnées par Yahvé, est un peu faire œuvre de bourreau ou de soldat de Dieu, c’est tuer et non assassiner. Car c’est la Loi qui détermine la frontière entre le fait de tuer et celui d’assassiner. C’est la Loi qui libère la conscience et met celui qui la respecte en situation de pouvoir renouveler son geste jusqu’à la nausée : le soldat tue, le criminel assassine. La Loi absout d’un côté et condamne de l’autre, libère la conscience ou l’emprisonne.

     Non seulement la Bible n’interdit pas de tuer, mais oblige à tuer ou exterminer certaines personnes et certains peuples en raison de leur comportement réel ou supposé, de leurs croyances réelles ou supposées, de leur appartenance réelle ou supposée à une lignée maudite : « Passez et revenez dans le camp de porte en porte, ordonne Dieu aux Israélites fidèles, et tuez qui son frère, qui son ami, qui son proche » (Ex 32.27 ou il s’agit de « tuer » les adorateurs du veau d’or). Moïse, pas plus que Josué ou Esdras, qui ont tous les trois du sang sur les mains, n’ont « assassiné ». Ils ont simplement tué, et nulle part il n’est dit qu’ils ont péché, même si leurs nombreuses victimes furent parfois des femmes et des enfants. Au contraire, tous trois bénéficient pour leur action d’une aura particulière. L’auraient-ils, cette aura, s’ils avaient enfreint le cinquième commandement ? Bien sûr que non. De fait, ils l’ont plutôt méritée en distinguant clairement ceux qu’ils pouvaient et devaient tuer de ceux qu’il ne fallait pas assassiner. En cela, ce sont des Justes.

 

A suivre

Antonin Campana

 

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