[L’oligarchie par intérêt économique, et le républicanisme par intérêt idéologique, sont naturellement amenés à s’unir pour faire disparaître les entités qui particularisent les individus et orientent leur vie en fonction de valeurs singulières. Cette union contre nature donne naissance au Système : système à tuer les peuples, les familles, les religions, les nations, et d’une manière générale toute conscience d’appartenance, l’objectif ultime étant d’engendrer l’Homme universel, autrement dit l’individu isolé, simple citoyen calibré et consommateur standard].
Le Système, défini comme la conjugaison des idéaux fondateurs du républicanisme et de la puissance oligarchique, n’a aucun intérêt à la persistance des entités qui agrègent les individus dans des corps qui seraient davantage que la somme de ceux qui le composent. Ces « corps » (la famille, le clan, la tribu, la nation, l’Eglise…) ont leur propre logique de fonctionnement et de cohésion, leur propre finalité, leur propre justification qui contredisent les idéaux républicanistes et font obstacle à la puissance oligarchique en parasitant le « marché ». Le Système a donc un intérêt particulier à « casser » ce que la Révolution nommait les « corps intermédiaires », tous ces « syndicats » qui unissent les individus face aux pouvoirs (économiques, politiques, médiatiques..), créant un lien autre que celui, mécanique, qu’il propose.
Le républicanisme et dans son sillage l’oligarchie ont en effet une vision mécaniste de la société. La République ne reconnaît que l’Homme et sa projection politique, le Citoyen. Pour elle, au nom de l’Egalité, tous les hommes et tous les citoyens sont identiques quels que soient leur origine, leur race ou leur sexe. La Nation n’est qu’un rassemblement, une somme arithmétique de citoyens égaux. Chaque citoyen est un individu isolé qui ne représente que lui-même. C’est le sens de l’abolition des « corps intermédiaires » (intermédiaires « dérangeants » entre l’individu et le Pouvoir), comme de la proposition de Clermont-Tonnerre d’agréger « individuellement » les Juifs à la Nation, ou du projet d’Anacharsis Cloots de créer une « république universelle » en intégrant « individuellement » à celle-ci tous les hommes de la Terre (et non les peuples, précise-t-il). Ces individus doivent entretenir entre eux une relation mécanique et contractuelle. Les liens autres que mécaniques (spirituels par exemple) sont exclus du domaine public : c’est la signification réelle du concept de « laïcité ». Le pouvoir politique lui-même est l’aboutissement d’une « mécanique électorale » qui le légitime.
Le fonctionnement mécanique de la société est fondé sur l’individualisme, l’égalitarisme et la notion de « contrat ». « Contrat social » passé entre l’individu et la société qu’il « rejoint », mais aussi contrat type « chaîne de production » entre les individus. Ainsi, exemple entre mille, chacun de nous est mécaniquement (et contractuellement) lié au boulanger qui nous vend son pain, qui lui-même est mécaniquement lié au livreur qui le pourvoit en farine, qui lui-même est mécaniquement lié au minotier qui la fabrique, qui lui-même est mécaniquement lié à l’agriculteur qui vend son blé, qui lui-même est mécaniquement lié à Monsanto qui fournit la semence, qui lui-même est mécaniquement lié au lobbyiste qui persuade de sa qualité, qui lui-même est mécaniquement lié au politicien qui se laisse persuader, qui lui-même est mécaniquement lié aux consommateurs de pain qui l’ont élu. La société serait ainsi constituée d’un maillage de chaînes de dépendances individuelles autorégulées, fonctionnant comme des rouages dans une machine bien réglée, et l’Etat aurait pour seul rôle de s’assurer du bon respect des relations contractuelles entre les individus.
L’interchangeabilité des différents rouages est une caractéristique voulue de ce type de société. Peu importe que le boulanger vienne de Mars pourvu qu’il honore sa part du contrat (vous donner du pain en échange de votre argent). Peu importe que le livreur soit une femme, pourvu qu’il apporte la marchandise. Peu importe la religion du paysan, pourvu qu’il fournisse du blé.
La rationalité à tous les étages est un autre caractère distinctif de ce modèle. Aucune référence religieuse, identitaire, culturelle… aucune irrationalité ne doit parasiter la bonne marche de la mécanique sociale. Le boulanger ne peut arguer de votre religion pour vous refuser son pain. Le lobbyiste présentera des arguments scientifiques au politicien, qui ne pourra lui opposer quelque « préjugé ». Et le repos dominical sera bientôt histoire ancienne (on parle d’ailleurs de « repos hebdomadaire »). Seules les règles du commerce et du droit régissent les échanges entre tous les éléments de la chaîne qui, de fait, peuvent être définis comme producteur et/ou consommateur.
On comprend bien qu’une telle société réduite à une poussière d’individus isolés qui n’ont entre eux de relation que rationnelle et contractuelle, qui affranchit le commerce de toute contrainte identitaire, religieuse, culturelle, qui prétend à l’universalité, donc au standard, est une bénédiction pour l’oligarchie. En étendant par le mondialisme, et au nom du libre échange et des idéaux du républicanisme (les droits de « l’Homme », l’égalité, la démocratie…), cette société atomisée à la terre entière, l’oligarchie se dote d’un marché sans limite.
L’oligarchie par intérêt marchand et le républicanisme par intérêt idéologique, sont donc amenés à s’unir naturellement pour faire sauter les principaux verrous qui agrègent les individus et les font agir non en individu rationnel (en citoyen interchangeable, en producteur interchangeable, en consommateur interchangeable…) mais en tant personne appartenant à un groupe constitué agissant en fonction des critères qui lui sont propres. Une musulmane de France qui refuse d’acheter un bikini au nom de ses convictions religieuses fait de sa religion un obstacle irrationnel au commerce du bikini. Elle se pose aussi comme membre d’un groupe particulier qui, par ses caractères affirmés, réfute la prétention républicaine à rendre interchangeables, sous prétexte d’intégration et de citoyenneté égalisatrice, des individus venus du monde entier. Un Français autochtone qui refuse le « mariage pour tous » au nom de ses traditions ancestrales contredit la volonté républicaine de créer un individu-citoyen asexué, sans appartenances, standard, en même tant qu’il réintroduit une manière d’être au monde fondée sur des valeurs ou des traditions dont la finalité contredit la logique marchande.
Ainsi, tout ce qui agrège, crée du lien non rationnel et non mécanique, tout ce qui transcende l’individu, le sublime et le particularise, est appelé à être progressivement détruit.
Ainsi de la famille fondée sur le lien affectif entre ses membres, ainsi des peuples fondés sur le sentiment d’appartenance à une communauté, ainsi des Eglises fondées sur le lien spirituel entre des croyants, ainsi des mouvements politiques fondés sur la communion idéologique des militants, ainsi des sexes fondés (du point de vue du Système) sur l’adhésion culturelle à un genre, ainsi des « classes sociales» fondées sur une « conscience de classe »…
Ce n’est pas un hasard si la loi sur le divorce (1792 puis 1884), précède largement la demande sociale (pas avant les années 1960) : il s’agissait d’affirmer l’individu, et non plus la famille, comme élément de base de la société.
Ce n’est pas un hasard si la République se livra avec une belle constance à une politique anticléricale qui ne visait qu’à isoler l’Eglise de la sphère publique et à faire de chaque fidèle une brebis sans berger à la merci du prédateur républicain.
Ce n’est pas un hasard si la République n’a admis les syndicats que sous la contrainte ouvrière et a toujours poursuivi de sa haine les Edouard Berth, les Georges Sorel et autres « syndicalistes révolutionnaires » qui voyaient dans la classe ouvrière une nouvelle patrie en substitution de la patrie française confisquée et dénaturée par l’oligarchie.
Ce n’est pas un hasard si la République a toujours défini le « peuple français » et la nation comme une somme arithmétique de citoyens interchangeables.
L’individu esseulé, entretenant avec ses semblables une relation purement mécanique, sans le parasitage de quelque irrationnel, est à la fois un « citoyen » standardisé en politique, et un « consommateur » ou « producteur » standardisé en société. Ce type d’individu sans conscience identitaire et sans appartenance définie est nécessaire à la République qui dès lors peut accéder à l’universalité par simple incorporation de nouveaux citoyens préalablement calibrés (par le « mécanisme de l’intégration »). Il est nécessaire à l’oligarchie qui dès lors aura accès, par l’immigration puis les délocalisations dans un monde formaté selon ce modèle universel, à une main d’œuvre peu chère et sans défense ainsi qu’à un marché de consommateurs standards sans limites.
La famille est une frontière, les religions sont des frontières, les sexes sont des frontières, les nations sont des frontières, les cultures sont des frontières. Toutes ces frontières distinguent et séparent, posent le spécifique face à l’universel, transcendent l’individu qui acquiert par elles sa différence et sa propre grille de lecture du monde. Toutes ces frontières limitent la diffusion du républicanisme et la toute puissance de l’oligarchie à vocation planétaire. Toutes ces frontières sont destinées à disparaître face aux assauts du Système qui, comme en Irak, en Syrie, en Lybie, en Russie, en Chine…, conjugue les intérêts oligarchiques (pétroliers, financiers, économiques…) avec un discours républicaniste (droits de l’Homme, démocratie, égalité…). Au nom du républicanisme qu’il veut exporter, le milliardaire Soros prêche, comme le républicain français, pour l’avènement de « sociétés ouvertes ». La « société ouverte » est bonne pour les affaires ! Elle n’est plus composée d’hommes ou de femmes, de Français ou d’étrangers, de Blancs ou de Noirs, de Chrétiens ou de Juifs, de jeunes ou de vieux… mais de clones sans appartenances particulières, enfin « libres » de tout conditionnement, si ce n’est ceux, légitimes, qu’imposent les « valeurs de la République » et les nécessités du marché.
Antonin Campana