[Le Front National a deux options. Soit il choisit définitivement le camp républicain et à terme il perdra l’intégralité de son électorat autochtone (une accession au pouvoir pourrait lui être fatale de ce point de vue), soit il choisit le peuple autochtone de France et lutte à ses côtés pour les droits collectifs. Le destin du Front National est d’être, en France, ce que le FLNKS a été en Nouvelle-Calédonie… ou de disparaître].
Etre républicain c’est avoir la conviction que la République dispose d’une panoplie de valeurs universelles qui lui permettent de faire « vivre ensemble » des hommes de toutes les origines, qui la dispense aussi de « distinguer » selon les appartenances ancestrales ou identitaires (art 2 de la Constitution). Il est inscrit dans le code génétique de la République depuis 1789 qu’elle peut (et même qu’elle « doit » pour certains) intégrer tous les hommes dans un « creuset républicain », conçu comme une simple « machine à fabriquer du citoyen » (Mélenchon).
Pour un républicain intelligent qui connaît un peu sa Vulgate, tout mouvement qui récuse l’universalité des valeurs républicaines, qui remet en cause la capacité de la République à faire « vivre ensemble » des gens qui n’en ont aucune envie, qui « distingue » selon les appartenances réelles… remet donc en cause les fondements mêmes de la République, voire sa raison d’être.
Le Front National entre-t-il dans cette catégorie dissidente ?
Oui, dans la mesure où ce parti conteste depuis longtemps les politiques d’immigration. Car derrière cette ligne politique, le républicain croit reconnaître un manque de confiance en la capacité intégratrice de la République, ce qui l’amène à penser que le Front National ne croit ni au caractère universel des valeurs de la République, ni à sa capacité de faire « vivre ensemble » des gens de toutes les origines (blasphème suprême qui suppose de ne pas croire en l’Homme, de « distinguer », donc d’être « raciste »)
Non, dans la mesure où le Front National affirme et réaffirme qu’il se refuse à « distinguer » les citoyens selon leur origine, leur religion ou leurs identités. Il accepte donc le « creuset républicain » et reconnaît les bons résultats passés de la « machine à fabriquer du citoyen », et même du « bon citoyen ».
Le Front National a donc une position équivoque. Il manifeste pour le moins une foi chancelante en la République (« son « creuset » est devenu explosif, dit-il, nous allons vers une catastrophe si nous continuons cette politique »), et dans le même temps proclame le caractère indépassable du modèle républicain de citoyenneté « sans distinction », celui précisément qui a donné au « creuset » son caractère explosif : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » (Bossuet).
Tout cela génère un énorme malentendu dont profite le Front National. En effet l’électorat du Front National « croit » que ce parti « distingue » (les Français de souche des immigrés par exemple). Cet électorat « croit » que le Front va faire cesser d’une manière ou d’un autre ce « vivre ensemble » insupportable, cause de tant de souffrances. Cet électorat « croit » que le Front National réhabilitera les valeurs « nationales », les valeurs identitaires spécifiques qui ne sont pas celles de tout le monde... Et ce sont ces « croyances », partagées par de plus en plus de Français autochtones, qui expliquent le vote Front National. Illusions ?
La conclusion qui s’impose, et Manuel Valls ne nous contredira pas, c’est que cet électorat n’est plus républicain. Il distingue, il veut sortir du « creuset » : pour lui le « in » et le « out » ne passe plus par la citoyenneté mais par l’identité. De manière prévisible, le projet républicain de faire « vivre ensemble » (qui suppose une immigration de peuplement), a donc fait sortir la France de la République. Désormais, les Français adoptent un système de représentation qui est aux antipodes des « valeurs » républicaines. Nous assistons à un profond bouleversement, véritablement révolutionnaire et prélude à de grands changements dans notre pays. Pour le moment, grâce à une ambigüité stupidement entretenue par les républicains, le Front National en profite. Mais que ce parti politique ne se trompe pas sur la nature du vote FN : fondamentalement, derrières ses apparences, c’est un vote de rejet de la République. C’est un vote qui dit non aux idéaux malsains de ce régime, qui récuse sa politique de « vivre ensemble » forcé, qui affirme le spécifique face à l’universel. Un vote de prise de conscience de soi.
Dès lors, le Front National a deux options. Soit il choisit définitivement le camp républicain et à terme il perdra l’intégralité de son électorat autochtone (une accession au pouvoir pourrait lui être fatale de ce point de vue), soit il choisit le peuple autochtone de France et lutte à ses côtés pour les droits collectifs. Le destin du Front National est d’être, en France, ce que le FLNKS a été en Nouvelle-Calédonie… ou de disparaître. Les choses se précipitent. Le peuple autochtone de France n’attendra pas. Le train de l’histoire entre en gare, c’est le dernier arrêt.
Antonin Campana