[Les naturalisations massives modifient la composition du corps électoral. Bientôt le destin du peuple autochtone de France dépendra essentiellement de gens qui n’en font pas partie. En Nouvelle-Calédonie, les Kanaks ont été confrontés au même problème : ils ont forcé la République à geler le corps électoral ! Au nom de l’égalité des droits sur tout le territoire de la République, les Autochtones de France sont fondés à exiger le gel du corps électoral sur tout le territoire de la République]
Il va de soi que le Grand Remplacement aura (a) des conséquences civilisationnelles, religieuses, culturelles et historiques catastrophiques. Nous savons pertinemment qu’il modifiera (modifie) notre manière de vivre, nos manières de table, notre façon de penser… Cependant, de par le mode de fonctionnement et d’organisation de la République, le Grand Remplacement aura aussi des conséquences politiques qui sont loin d’être secondaires pour les Autochtones.
Pour la République, le « peuple français » se réduit juridiquement à l’ensemble des citoyens, au corps électoral ou à la communauté civique indivisible. Autiste, la République ne reconnaît aucune « section du peuple ». En 1789, la communauté civique et le peuple autochtone recouvraient la même réalité et l’on pouvait considérer qu’il n’y avait véritablement qu’une seule « section » rassemblant l’intégralité du « peuple ». C’est le processus du Grand Remplacement, initié par la République, qui a depuis rendu impossible l’assimilation totale de la communauté civique au peuple autochtone. Les vagues migratoires et les naturalisations massives ont considérablement modifié la composition du corps électoral si bien que les Autochtones de France ne représentent aujourd’hui qu’une partie seulement de celui-ci. Le drame du Grand Remplacement est que par le simple jeu démographique, sans compter les futures naturalisations qui seront massives n’en doutons pas, les Autochtones seront dans les années qui viennent minoritaires au sein de la communauté civique. Autrement dit, électoralement, le destin du peuple autochtone dépendra de plus en plus largement de gens qui n’en font pas partie. Cela est-il inéluctable ? Peut-être pas.
Le même problème s’est posé aux Autochtones de Nouvelle-Calédonie. Entre 2004 et 2009, 18 500 Allochtones sont venus s’installer en Nouvelle-Calédonie (sur une population de 269 000 habitants). Plus de 75% de ces Allochtones étaient des Français venus de métropole. Au total, au fil des décennies, l’immigration a mis la population kanake en position d’infériorité. Elle ne constitue plus aujourd’hui que 40.3% de la population totale (toutefois les mélanésiens, toutes origines confondues, sont faiblement majoritaires). Comment dans ces conditions, avec le principe « un homme une voix », rester maître de son destin ? Le peuple des Autochtones a forcé une solution originale qui prend corps notamment à travers les accords de Matignon (1988) et la loi organique 99-209 du 19 mars 1999.
Ces accords donnent à la Nouvelle-Calédonie un statut unique : l’identité kanake est reconnue et le pays est divisé en trois provinces distinctes, dotées de larges compétences administratives, culturelles ou juridiques. Grâce à un découpage avantageux, les Autochtones sont largement majoritaires dans deux d’entres elles (ils constituent 73.8% de la population de la Province Nord, 96.62% des Iles Loyauté). Ils disposent en outre de structures spécifiquement autochtones (conseils coutumiers, sénat coutumier). Le sénat coutumier est consulté par les assemblées provinciales, le congrès élu de Nouvelle-Calédonie et le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Il délibère en matière de droit civil et foncier ainsi que sur tout ce qui intéresse l’identité kanake. Cette organisation territoriale et institutionnelle préserve donc les intérêts légitimes des Autochtones de Nouvelle-Calédonie : ceux de France pourraient rêver d’en avoir de semblables.
Néanmoins une telle organisation ne garantissait pas l’avenir des populations kanakes dans la mesure où celui-ci dépendait des rapports de force démographiques et notamment de l’immigration en provenance de métropole. Un citoyen français nouvellement installé en Nouvelle-Calédonie comptait électoralement autant qu’un Autochtone. Il allait décider de l’avenir du pays, sans subir obligatoirement les conséquences des ses choix, puisqu’il pouvait toujours s’en retourner en France. Ce n’était pas normal et les Kanaks ont forcé la République à modifier la loi électorale.
Ainsi pour participer aux élections de 1998, un citoyen français devait selon l’article 188 de la loi 99-209 (loi de la République !) justifier avoir dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998 ou avoir un de ses parents justifiant de cette condition. Cet article toutefois n’était pas suffisant car il décalait les conséquences électorales de l’immigration de dix ans. Ainsi un citoyen Français installé en Nouvelle-Calédonie en 1996 ne pourrait pas voter en 1998, mais le pourrait dès 2006. Les Kanaks du FLNKS ont donc fait pression sur la République pour qu’elle « gèle » le corps électoral. En 2007 la loi constitutionnelle n°2007-237 disposait ainsi que pour être électeur en Nouvelle-Calédonie il fallait avoir dix ans de domicile dans le pays, en 1998 ! Autrement dit, un Français installé sur ce territoire de la République en 1996 ne pourra jamais, ni lui, ni ses enfants, ni ses petits-enfants, être électeurs pour la désignation des membres du congrès calédonien (sorte de parlement) ou des assemblées des Provinces. Il ne pourra jamais, ni lui, ni ses enfants, ni ses petits-enfants… être un citoyen néocalédonien ! C’est ce qu’on appelle le « droit du sol gelé » ! Pour la petite histoire, je rappelle que le Parlement français réuni en congrès à Versailles le 19 février 2007 a adopté cette disposition par 724 voix pour et 90 contre. Il ne soulèvera donc aucune opposition de principe pour que le « gel » du corps électoral et de la citoyenneté soit effectif sur tout le territoire de la République et, au nom de l’égalité citoyenne et territoriale, il engagera sans doute une réforme constitutionnelle en ce sens.
Les Autochtones de Nouvelle-Calédonie montrent ainsi aux Autochtones de France comment se prémunir en partie face au Grand Remplacement. Le gel immédiat du corps électoral et de la citoyenneté, possible car déjà accordé sur le « territoire de la République », peut figer les rapports de forces ethniques dans le domaine politique. Ce « gel » ne sera possible que si nous luttons pour l’égalité des droits. Ce qui est valable sur une portion du « territoire de la République » est valable sur tout le « territoire de la République » !
Antonin Campana