(Suite)
Cette armée toutefois, fut « française » avant d’être véritablement «républicaine ». Autrement dit, il n’allait pas de soi que celle-ci adhère naturellement à cette identification de la République à la France que les politiciens républicains voulaient ancrer dans les esprits. Après avoir entrepris de purger le monde politique, la magistrature et l’administration (2) de ce qui n’était pas républicain, après avoir éliminé de l’Ecole le personnel congréganiste, il était indispensable de purger l’armée.
La purge avait commencé dès 1886 avec la « loi d’exil ». Elle trouvera un nouveau souffle dans le sillage de l’affaire Dreyfus. Toute son ampleur sera révélée par « l’affaire des fiches » mais ses conséquences n’apparaîtront vraiment qu’en 1914.
A partir de 1900, les républicains avec l’aide du Grand Orient de France vont entreprendre de ficher l’ensemble des officiers (20 000 sur 27 000 environ). Les fiches transmises par le Grand Orient au ministère de la guerre comportent des indications du genre « va à la messe », « cléricard », « calotin pur sang », «jésuitard »… Le ministère les classe en deux catégories : celle des officiers à promouvoir dites « Corinthe » (par référence au proverbe latin qui dit qu’il n’est pas donné à tout le monde d’y aller) et celle des officiers à écarter dites « Carthage » (selon le mot de Caton qui voulait la détruire). Les premiers, une petite minorité, 8 à 10% environs, bénéficient d’avancements en fonction de la valeur de leur conviction politique, les seconds, 90% de l’effectif (ceux qui sont considérés comme douteux ou hostiles), vont voir leur carrière stagner (dont Foch, par exemple, dont le frère est jésuite). En peu de temps, l’essentiel des cadres supérieurs de l’armée est ainsi composé de républicains. L’armée est «tenue » par un système de délation et par une haute hiérarchie devant tout à la politique et peu à sa valeur militaire. Quand la première guerre mondiale va éclater, cette sélection discriminatoire coûtera à la France des dizaines de milliers de mort. Durant les premières semaines de guerre, Joffre devra limoger pour incompétence plus de 200 des 425 généraux français (47% de l’effectif) !
C’est donc dans cette armée politisée, « tenue » d’une main de fer par des officiers supérieurs devant tout au Pouvoir et peu à leur valeur, que la recrue allait continuer la formation de « bon citoyen » commencée dans l’école républicaine. Les célébrations, les défilés, le culte du drapeau, les chants patriotiques… feront se confondre la patrie, la France et la République. Dans les premiers mois de 1914, les officiers subalternes et les sous-officiers, largement conservateurs, chargeront en tête de leurs hommes, gants blancs et sabre au clair, sous les ordres de politiciens et de généraux républicains stupides et soigneusement planqués à l’arrière. Ces officiers de carrière sacrifiés seront remplacés pour la plupart par des hommes sortis du rang et déjà formatés par l’école républicaine. En 1918, on peut dire que l’armée «française » est alors vraiment une armée « de la République » et que le processus d’identification est arrivé à son terme, mais à quel prix !
(A suivre)
Antonin Campana
2. Par exemple, circulaire Combes aux Préfets (20juin 1902), leur demandant de "favoriser" des "personnages et des corps sincèrement dévoués au régime"