En 2013, 3 000 Juifs ont quitté la France pour s’installer en Israël. En 2014, ils étaient 7 000 à avoir fait leur « montée » en Israël. En 2015, ils pourraient être 15 000 selon le Washington Post.
Pour de nombreux Juifs, la vie en France devient insupportable. Dans cette société qui se délite et où le multiracialisme idéologique produit du multiracisme au quotidien, ils estiment que leur avenir n’est plus assuré, qu’il est devenu trop incertain, trop sujet peut-être aux spasmes d’une nation Frankenstein en décomposition. Alors beaucoup au nom de la « loi du retour » retournent dans le pays de leurs ancêtres (ancêtres réels ou mythiques, ce n’est pas notre affaire), reviennent dans le pays de leurs origines (idem), ce pays d’Israël qui, selon Benjamin Netanyahu, « les attend à bras ouverts ».
La vie dans cette société monstrueuse engendrée par la République, annonce pour tout le monde, pas seulement pour les Juifs, des souffrances grandissantes (pas besoin d’une boule de cristal pour le pronostiquer). En extrapolant un peu (mais pas tant que ça), on pourrait imaginer que d’autres citoyens français aient, à leur tour, plus intérêt à fuir la France qu’à y rester. Le pourraient-ils seulement ? Pour un certain nombre d’entre eux, la réponse est oui, sans aucun doute. Ainsi les citoyens français d’origine arménienne disposent eux-aussi d’un « droit de retour » dont ils pourraient légalement faire usage, conformément à l’article 14 de la Constitution arménienne. Les citoyens français d’origine immigrée jouissent pour la plupart d’une double nationalité qui leur permettra à eux-aussi de « retourner » dans leur pays d’origine et de s’y réinstaller en toute légalité. Quant aux citoyens français originaires d’outre-mer il va sans dire qu’ils pourraient comme les autres retourner sur leurs terres ancestrales, là où sont leurs racines et leurs attaches familiales.
En fait, si la France devenait un enfer (ce qui est probable) tous les citoyens français, ou presque, pourraient légalement être accueillis dans un autre pays, sur la terre où vécurent leurs ancêtres, sauf… les citoyens français d’origine autochtone !
Pourquoi ? Parce que la France est la terre ancestrale des Autochtones de France. Les Autochtones de France n’ont pas d’autre pays que celui-ci, pas de terre sainte pour les accueillir, pas de bled pour se réfugier, pas d’îles où s’installer. Quel pays voudra bien leur ouvrir ses portes ? Aucun ! Les Autochtones de France sont condamnés à mourir et à se faire enterrer sur cette terre, et nulle part ailleurs, preuve s’il en fallait qu’ils sont distincts du reste de la communauté civique au milieu de laquelle leur peuple est malheureusement enchâssé. Aussi est-il naturel et normal que, conformément aux textes internationaux, le peuple autochtone de France jouisse du droit à disposer de lui-même : est-il juste et moral que le destin de ses enfants dépende de gens qui peuvent à tous moment échapper aux conséquences de leurs mauvais choix ? L’égalité, c’est le droit pour tous de choisir, c’est aussi le devoir pour tous de subir. Celui qui ne peut quitter le navire a un droit particulier à en tenir la barre, d’autant si celui-ci est en perdition.
Chaque Juif qui retourne en Israël exprime l’échec du modèle républicain : échec du « vivre ensemble » au profit de « l’entre-soi », échec d’un modèle de société planétarisée et violente, échec de la citoyenneté indifférenciée et abstraite devant les identités spécifiques et concrètes. Cet échec, les Autochtones le paieront cash, sans espoir de rejoindre un autre pays, sans espoir de fuite, le dos au mur, pris au piège dans un monde tragique qu’ils devront affronter. Ils n’ont pas la chance de venir d’ailleurs et de pouvoir y retourner. Ils sont d’ici : ils sont ici chez eux et cela leur donne des droits sur une République responsable et coupable des événements dramatiques qui s’annoncent.
C’est vrai, les Autochtones de France, coincés dans leur propre pays, sont « faits comme des rats ». Mais ceux qui pourraient s’en réjouir devraient se méfier : quand ils sont coincés, les rats vous sautent à la figure.
Antonin Campana