Qu’est-ce que le « peuple français » ? Il serait temps de se poser la question, de nous interroger, d’engager un débat, car le destin de notre peuple dépend largement de la réponse qui sera donnée.
Les juges du Conseil Constitutionnel nous expliquent que le peuple français est une « catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi », un « concept juridique » ayant « valeur constitutionnelle » et que la Constitution de la Ve République « ne connaît que le peuple français composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion » (décision n°91-290DC du 09 mai 1991).
Je résume : pour la République le « peuple français » est une « catégorie », un « concept juridique », une somme de « citoyens ». Autrement dit, le peuple français relève du droit et non des faits (historiques, culturels, identitaires…). Ce n’est qu’un « corps électoral » composé d’individus juridiquement rattachés à un Etat (l’ensemble des « citoyens »). Sieyès, référence incontournable du régime républicain, disait qu’une nation est, je cite, un « corps d’associés vivant sous une loi commune et représentés par la même législature » : bref, un pur « concept juridique » !
La République considère que les différences qui séparent les hommes (différences religieuses, culturelles, ethniques…) sont au-delà du caractère du citoyen, donc non essentielles : les Constitutions refusent de prendre en compte ce qui « distingue ». Autrement dit, la République refoule ce qui n’est pas de l’ordre du droit (l’identité par exemple), considérant de manière autiste que la citoyenneté juridique (en fait essentiellement le droit de vote) est suffisante pour fonder une société homogène, unifiée et indivisiblement souveraine. L’unicité de la représentation politique (le Parlement, le Président…) « prouve » selon elle l’indivisibilité du « peuple » souverain, et partant son « homogénéité ».
On comprend bien que l’unicité de la « représentation nationale » ne prouve rien du tout, dans la mesure où la Constitution ne laisse pas sa chance à la « diversité », dans la mesure aussi où cette représentation ne représente finalement qu’un résultat arithmétique non révélateur de l’hétérogénéité réelle d’une société (les évènements récents sont, eux, très révélateurs).
Cette approche exclusivement juridique ne saurait bien évidemment définir une réalité aussi complexe qu’un peuple. Elle est dangereuse aussi dans la mesure où, de manière tout à fait cohérente d’ailleurs, elle fait dépendre l’obtention de la citoyenneté, malheureusement indissociable de la nationalité, de critères juridiques et administratifs. Ainsi, la République a-t-elle élaboré des critères de droit assez lâches qui permettent à n’importe qui, après un certain délai, de devenir « Français ». A terme, alors que chaque année plusieurs centaines de milliers d’étrangers s’installent dans le « corps d’associés », cela signifie que l’avenir de notre peuple (je veux parler du peuple autochtone de France) va dépendre essentiellement, par le simple jeu arithmétique, de gens qui n’en font pas partie.
Dans l’état actuel des choses nous n’avons guère le choix. Si la République continue à définir le peuple français comme un corps électoral atomisé, alors il faudra très vite en sortir d’une manière ou d’une autre (de la République comme de sa Créature), faute de quoi nous ne pourrons qu’assister impuissants à la disparition définitive de notre peuple. En 1789 définir le peuple français comme un corps électoral ou un corps d’associés ne prêtait pas à conséquence puisque le peuple français recoupait le corps électoral. En 2015, alors que le peuple français autochtone n’est qu’une partie du corps d’associés, c’est devenu une insupportable remise en cause du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En 2040 ou 2050, quand le peuple français autochtone sera minoritaire au sein du corps d’associés, ce sera un crime contre l’humanité. Le « corps d’associés » imaginé par la République est un bain d’acide qui dissout notre peuple, l’autochtonisme est un moyen d’en sortir.
Le Conseil Constitutionnel estime que « le constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination » (décision n° 091-290 DC). Au nom du principe d’égalité entre les peuples, il nous est possible de revendiquer et d’obtenir nous-aussi ce droit à la libre détermination. Pour cela il faut s’organiser par-delà nos inessentielles divergences. En serons-nous capables, ou préférons-nous assister sans réagir à la destruction progressive de notre peuple, définitivement réduit à n’être qu’un « concept juridique » ?
Antonin Campana